Les
clients savaient qu'ils n'achetaient pas des ordinateurs (des
boîtes !) pour gérer leurs entreprises, ils sont
en train de réaliser qu'ils n'achètent pas non
plus des logiciels pour réaliser leurs applications.
En réalité, ce qu'ils veulent acheter, ce pour
quoi ils sont prêts à payer, ce sont des résultats
et non simplement des applications qui tournent sur des ordinateurs.
Et ces résultats s'obtiennent par de l'accompagnement,
donc de la prestation de services. A partir de là,
nous entrons dans l'ère du service après avoir
vécu successivement l'ère du matériel
puis l'ère du logiciel.
Le
nouveau millénaire s'ouvre sur l'Open source et le
service
L'ère
du matériel s'est appuyée sur les mainframes
au niveau architecture et sur le cobol au niveau outil, l'un
apportant l'infrastructure standard, l'autre, l'outil standard
connu par tous. Dans ce contexte, l'ère du matériel
a également été l'âge d'or des
constructeurs, où des acteurs comme IBM dictait l'évolution
du marché.
Avec l'irruption du PC, nous sommes passés à
l'ère du logiciel. Celle-ci reposait sur le client-serveur
au niveau architecture et sur les progiciels, une notion relativement
récente, au niveau outil. Cette fois, ce sont les éditeurs
de logiciels qui imposaient leur loi (avec Microsoft et Oracle
comme exemples emblématiques).
Aujourd'hui, l'ère du service repose sur le Web et
Internet (niveau architecture/infrastructure) et sur les logiciels
Open Source (niveau outil/technologie). Dans cette nouvelle
ère du service, ce sont les prestataires de services,
intégrateurs naturels des projets Open source qui deviennent
les nouveaux acteurs incontournables.
Les
standards ne sont plus dictés par les éditeurs
commerciaux.
Un signe
révélateur que le changement en cours est considérable,
et que c'est bien le mouvement Open Source qui en est le moteur
: ce sont désormais les projets à code source
ouvert qui déterminent quelles sont les technologies
standards. C'était déjà vrai pour ce
qui est de l'infrastructure d'Internet mais c'est désormais
aussi avéré dans le domaine des logiciels plus
généraux. SOAP est le dernier exemple en date
qui confirme cette évolution.
Si SOAP a été adopté par Oracle (après
qu'IBM, entre autres, se soit déclaré en sa
faveur) c'est d'abord parce que cette RPC est supportée
par la communauté Open Source dans le cadre du projet
XML-Apache alors que SOAP provient de Microsoft à l'origine.
Oui, vous avez bien lu, un standard Microsoft adopté
par Oracle !
Mais justement, c'est bien parce qu'il a été
validé par la communauté Open Source que SOAP
est devenu un "vrai" standard. Rappelons que la
plupart des éléments sur lesquels repose Internet
à ce jour sont des projets Open Source, SOAP ne fait
que s'inscrire dans cette lignée.
Il faut être lucide, ce ne sont plus les éditeurs
de logiciels qui dictent les directions et les conditions
d'évolution de la technique, ce sont désormais
les projets indépendants et les acteurs qui y contribuent
(comme RedHat avec Linux).
Les changements à venir dans l'organisation de l'industrie
informatique sont considérables : on va assister à
un amoindrissement radical de la position des éditeurs
de logiciels, à un retour en force des constructeurs
ayant la bonne attitude (IBM et VA Linux montrent la voie)
et à l'émergence d'une nouvelle catégorie
d'acteurs du service : les intégrateurs Open Source.
Tous
ensemble vers l'abandonware !
Déjà,
certains éditeurs de logiciels choisissent de placer
leurs produits en OSS afin de leur assurer une plus grande
diffusion et de tels comportements vont se multiplier, on
a même donné un nom à cette tendance :
" l'abandonware " !
Les derniers éditeurs en date à avoir adopté
la publication du code source pour tout ou partie de leurs
produits : Progress, Ilog, Prolifics, SAP. Oui, même
un grand acteur comme SAP comprend qu'il a beaucoup à
gagner avec l'Open Source. Dans le cas de SAP, c'est son SGBDR
qu'il propose à la communauté des développeurs,
revenons sur ce cas précis et examinons-en les motivations
SAP
fait du libre une stratégie de conquête
Courant
1998, les spéculations et rumeurs allaient bon train
sur le SGBDR que SAP pouvait ou allait racheter. Sybase et
Informix étaient les plus souvent cité car,
même si les installations de l'ERP SAP/R3 reposaient
majoritairement sur Oracle comme base de données, l'opposition
et la concurrence entre les deux éditeurs était
vive. Il apparaissait donc naturelle que SAP veuille pratiquer
l'intégration verticale en rachetant un éditeur
de SGBDR afin de proposer sa base de données plutôt
que celle d'Oracle par ailleurs éditeur d'ERP lui aussi.
Finalement, SAP s'est contenté de passer un accord
avec Software AG (entre compatriotes, on se comprend !) autour
du SGBD Adabas. A travers cet accord, SAP obtenait le droit
de développer et de revendre sa propre version d'Adabas
renommée SAPdb pour l'occasion. Dans un premier temps,
les suites de cet accord n'ont pas été très
visibles, SAP n'a pas beaucoup poussé SAPdb et les
observateurs ont commencé à l'oublier
C'est que SAPdb n'avait pas beaucoup de crédibilité
dans le monde des bases de données dominé par
Oracle et DB2 (d'IBM). Peu de gens savent qu'il est dérivé
d'une souche d'Adabas mais même cette dernière
ne jouit pas d'une grande popularité. Bref, un coup
pour rien et retour à la case départ pour SAP
dans le domaine des SGBD
Jusqu'au mois d'octobre 2000
où SAP annonçait que SAPdb devenait un produit
Open Source !
...
sur les SGBD Open Source encore rares
Par
ce changement d'attitude, SAP vise deux objectifs : rendre
populaire (et crédible !) un produit complet dans un
secteur où la " concurrence " n'est pas encore
très fournie en produits d'envergure, mais aussi partager
les frais d'évolutions de SAPdb avec la communauté
des développeurs. Ça peut marcher parce que,
effectivement, le rayon " SGBDR " n'est pas encore
très encombré dans l'entrepôt de l'Open
Source. Le leader de la catégorie est actuellement
le projet MySql suivit par PostgreSQL. MySql peut faire sourire
au premier abord mais il faut se méfier des projets
qui n'ont l'air de rien et qui deviennent des standards simplement
parce qu'ils sont adoptés largement par les développeurs
(c'est ainsi que Linux a atteint son statut actuel).
A côté de ces deux projets qui sont connus et
soutenus (on trouve des spécialistes du support et
dans l'édition de distributions de MySql ou PostGreSQL
comme GreatBridge, Abriasoft ou Nusphere), on peut citer quelques
outsiders comme Interbase dont Borland ne sait que faire depuis
des années. Bref, la place de " Linux des SGBDR
" est clairement encore à prendre et SAP le sait.
Si SAPdb devient le SGBDR de référence grâce
au levier de l'Open Source, alors la question de la crédibilité
sera levée et SAP pourra le pousser face à Oracle.
D'une pierre, deux coups : si SAPdb devient populaire, alors
il y aura plus d'efforts investis dans son évolution
ce qui répartit les frais et contribue à sa
montée en puissance (sans doute même verra-t-on
apparaître une offre tierce comme elle se développe
actuellement autour de MySql
). Voilà pourquoi
SAP a tout intérêt à échanger quelques
maigres revenus de licences autour de SAPdb en contrepartie
d'une vraie popularité qui entraînera crédibilité
et notoriété.
IBM
ne se laisse pas distancer
Un autre
qui a compris que la bataille des parts de marché se
jouait aussi grâce au levier de l'Open Source, c'est
IBM. Reprenons encore l'exemple du marché des SGBDR
pour illustrer comment IBM compte tirer parti du mouvement
Open Source pour grignoter Oracle (encore lui)
Depuis quelques mois, IBM proclame qu'il contribue largement
au développement et à l'évolution de
MySql (encore lui), pourquoi IBM fait-il cela ?
Le calcul d'IBM est le suivant : en déversant dans
MySql de larges portions de codes de DB2, IBM va influencer
les fondements de MySql. Progressivement, les API vont devenir
compatibles (si ce n'est identiques), de même pour la
structure de stockage. Ainsi, les utilisateurs de MySql qui
veulent monter en gamme (suite à un accroissement de
besoin ou pour supporter la montée en charge) vont
se tourner plus naturellement vers DB2 que vers Oracle, CQFD
Rester
dans la course aux services générateurs de marges.
Désormais,
les éditeurs vont être de plus en plus souvent
confrontés à un choix Cornélien : soit
s'ouvrir aux OSS et compenser les revenus des licences par
le service (la part du service représente déjà
la moitié des revenus d'IBM -à travers IBM Global
Services-, et c'est l'activité qui croît le plus
vite et qui est la plus rentable
) soit être progressivement
marginalisés
On pourrait rétorquer que l'abandonware indique surtout
le degré de désespoir d'éditeurs en perte
de vitesse qui ne savent plus quoi faire pour inverser la
tendance. C'est sans doute vrai pour quelques-uns mais l'attitude
de SAP et d'IBM ne relève pas précisément
du " mouvement de la dernière chance "
Plus intéressant encore que la tendance " abandonware
" des éditeurs de logiciels, on constate que ce
sont désormais les sociétés de services
qui basculent vers l'utilisation déclarée de
l'Open Source. Ainsi, elles sont de plus en plus nombreuses
et presque toutes mettent en avant un projet favori (souvent
ce projet est issu d'un développement interne qui a
été publié) : Microstate, Mortbay Consulting,
Diamond Technology Partner, Egrail inc, Metatdot inc, Akopia,
ArsDigita, Semiotek et autres avec des projets allant du serveur
d'applications Java au serveur à l'outil de groupware
en passant par l'application de gestion des incidents.
Comment
Linux dégage Unix en touche.
Indubitablement,
il se passe quelque chose de profond et de fort du côté
de l'Open Source, nous n'en voyons encore que les premiers
signes mais de plus en plus de gens sont désormais
convaincus que c'est bien de ce côté qu'il faut
attendre le changement. Un sondage organisé par TechMetrix
indique que 54% des répondants escomptent " un
changement énorme dans l'industrie informatique "
à cause de la croissance du mouvement Open Source.
Déjà, on recense près de 250 000 contributeurs
(développeurs, testeurs, documentalistes) répartis
dans le monde entier (les USA mais aussi l'Allemagne arrive
en tête des pays les plus représentés,
source : www.ibiblio.org/osrt/develpro.html).
Au niveau des conséquences prévisibles, on peut
déjà en citer deux : Les Unix des constructeurs
vont disparaître, remplacés par Linux et tous
les éditeurs de logiciels vont devoir afficher une
stratégie Open Source.
Nous avons déjà largement abordé ce dernier
point mais on peut conclure en prévoyant que, tout
comme en 1996/97 où chacun devait afficher sa compréhension
du phénomène Internet (et la stratégie
correspondante), chaque éditeur devra bientôt
montrer qu'il a compris les mécanismes du mouvement
Open Source et expliquer comment il compte en tirer parti.
Le phénomène dépasse désormais
la seule communauté des développeurs pour toucher
l'industrie du logicielle dans son ensemble.
Linux qui remplace les Unix propriétaires, c'est une
tendance lourde qui a déjà largement commencé
à produire ses effets. Le premier à franchir
le Rubicon fut SGI et les autres (IBM, HP, etc.) vont l'imiter
tôt ou tard.
En effet, quel intérêt pour un constructeur de
continuer à dépenser de l'argent et de mobiliser
des ressources à maintenir une version d'Unix de moins
en moins attractive alors que, progressivement, le support
de Linux devient un argument de vente ?
Le dernier à résister devrait être Sun
car il présente deux caractéristiques uniques
vis-à-vis du peloton des constructeurs : il possède
l'Unix le plus populaire (Solaris) et c'est aussi celui qui
le plus à perdre dans cette évolution vers Linux
Pour les autres, la messe est dite, ce sera Linux pour tous.
Vite
investir le créneau pour prendre position.
Un gagnant
de cette nouvelle donne ? VA Linux. Ce constructeur de serveurs
a intégré cette nécessité (utiliser
Linux comme plate-forme système) depuis le départ,
il est donc mieux placé que les suiveurs pour en profiter.
Face à une innovation majeure qui accumule les succès,
les sceptiques rétorquent toujours que la portée
est limitée (aujourd'hui, il est de bon ton de prétendre
que l'Open Source est limité aux couches systèmes
et ne produira rien de significatif en dehors de Linux
)
alors qu'il n'en est rien !
Il y a 15 ans, les gens disaient " les bricoleurs de
la FSF (Free Software Foundation) ont développé
quelques belles démonstrations mais rien de sérieux
ni d'utilisable " et le projet GNU démontra le
contraire. Les détracteurs dirent alors " OK,
le toolkit GNU est intéressant mais on est encore loin
d'un système complet et opérationnel "
et Linux apparu. Aujourd'hui, les mêmes prétendent
qu'il ne faut rien attendre au-delà des couches systèmes
et pourquoi devrions-nous les croire alors que le passé
a toujours donné tort à ces pessimistes ?
Le fait est que, même pour des solutions très
exigeantes comme les suites bureautiques, Star Office est
désormais considérée comme une alternative
viable à MS Office ou GIMP comme un concurrent de Photoshop
!
En vérité, de plus en plus de domaines sont
touchés par des projets significatifs les uns après
les autres. Dans un secteur que je connais bien, je vois que
les serveurs d'applications basés sur Java qui sont
disponibles en Open Source sont de plus en plus nombreux et
de plus en plus crédibles. Couche après couche,
la progression se poursuit, aucun domaine ne sera épargné
!
Et
alors ?
Arrivé
à ce point, on va me dire " bon, OK, les développeurs
aiment les projets à code source ouvert et alors ?
Ce n'est pas pour autant que les clients, les vrais utilisateurs
vont les adopter massivement ! ". Détrompez-vous,
cette adoption a déjà commencé et ce
pour [principalement] deux raisons : la qualité (et
donc la fiabilité) des projets Open Source est bien
meilleure que celle des projets propriétaires et la
pérennité est sans commune mesure.
Le détail de ces affirmations le mois prochain dans
ma prochaine chronique décryptage " pourquoi les
projets Open Source sont supérieurs "
[Alain
Lefebvre, vice-président du groupe SQLI]
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