24/01/01
Ed Kelly, Transmeta : "Nous
avons déplacé le transistor dans le logiciel"
Depuis
sa création en 1996 et jusqu'au début de l'année
dernière, Transmeta
ne laissait rien transparaître hors de ses locaux
de la Silicon Valley concernant ses nouvelles technologies
en matière de microprocesseurs. En 1999, la firme
financée en partie par le financier Georges Soros
et le co-fondateur de Microsoft Paul Allen était
déjà évaluée à près
de 100 millions de dollars. Sous les directives de
son co-fondateur et CEO David Ditzel, ancien vice-président
de Sun, l'effectif compte notamment dans ses rangs Linus
Torvald, l'inventeur du système d'exploitation Linux.
Depuis septembre 2000, la gamme de processeurs Crusoë
de Transmeta ne cesse de recueillir le suffrage de constructeurs
parmi lesquels Sony, NEC et Casio. Construites sur la base
d'une technologie inédite, ces puces légères
et puissantes favorisent la compatibilité entre les
plates-formes grâce à une technique dite de
"code-morphing". Piqué au vif, le géant
Intel tente de réagir en ce début d'année
2001. Un exploit que nous détaille Ed Kelly, co-fondateur
de Transmeta et son responsable sur le plan technique.
JDNet
Solutions : Comment mesurer votre succès face à
des géants comme Intel, AMD ?
Ed Kelly : Les processeurs traditionnels ont
été adaptés pour les PC et le nôtre
fait fonctionner aussi bien des applications sur PC que
sur des équipements mobiles. Depuis le lancement
de Crusoë en septembre 2000, de grands constructeurs
comme Hitachi, Fujitsu et Gateway ont annoncé des
produits, en particulier des assistants personnels, qui
seront basés sur notre processeur. En tout, nous
avons conclu des partenariats avec une dizaine d'industriels.
Nous allons aussi adresser une nouvelle catégorie
de marchés. Des anciens de Compaq qui montent une
société à part entière vont
bientôt intégrer Crusoë à leurs
serveurs critiques, ce qui représente pour nous de
nouvelles opportunités d'affaires.
Quels
sont les principaux avantages de Crusoë ?
L'utilisateur qui travaille sur un
terminal équipé de Crusoë bénéficie
d'une consommation très réduite en terme de
puissance électrique. De plus, notre technologie
est nouvelle, puisque nous apportons une combinaison matérielle
et logicielle avec du Code Morphing.
Pour cela, nous nous basons sur une technique très
simple. En général, la consommation électrique
dépend du nombre de transistors qui sont activés.
Or, ce qu'Intel implémente dans le transistor, nous
l'avons déplacé au niveau logiciel, ce qui
apporte de nombreux bénéfices.
Quels
bénéfices tirez-vous de cette technologie ?
Les avantages peuvent se décliner
en terme de performances, d'ajout de nouvelles fonctions...
Si une opération se passe mal, nous pouvons prendre
la main sur le plan logiciel. Sur la performance, il s'agit
plus d'un avantage stratégique, car nous fournissons
en même temps la compatibilité logicielle à
Windows et aux environnements mobiles, ce qu'Intel ne fait
pas.
Nous pouvons aussi ajouter de nouvelles fonctions à
distance grâce à la capacité d'évolution
sur le plan logiciel. Mais il y a encore beaucoup d'aspects
de notre technologie qui ne sont pas exploités comme,
par exemple, des technologies de résolution de problèmes
en temps réel.
Intel
laisse planer le doute sur de futurs processeurs mobiles
venant compléter sa gamme. Ne craignez-vous pas qu'ils
vous fassent de l'ombre ?
Le fait qu'ils fabriquent une puce
concurrente de la nôtre ne dit pas qu'ils vont disposer
de la même technologie que nous. Transmeta a accaparé
presque tous les talents aux Etats-Unis capables de comprendre
et de développer cette technologie. En fait, nous
nous attendons à ce qu'ils sortent un dérivé
du Pentium III en baissant sa consommation électrique.
De plus, cela leur a pris cinq ans pour développer
le Pentium IV. Selon la loi de Moore, il y a à
peu près un nouveau processeur tous les cinq ans.
En fournissant une technologie hybride matérielle
et logicielle, nous pouvons réduire le délai
de mise sur le marché de nouvelles puces. Car il
est possible d'intégrer certaines fonctions sur le
plan logiciel et donc de les développer plus vite.
En ce qui nous concerne, nous devrions être en mesure
de proposer une nouvelle architecture à partir de
l'année 2002.
Croyez-vous
dans les technologies de machines virtuelles ?
C'est précisément ce
que nous faisons : une machine virtuelle complète
en assembleur. De ce fait, nous pouvons dire que si un logiciel
marche sur un processeur x86, il fonctionnera aussi sur
Crusoë. Nous avons démontré cette capacité
technique lors de notre annonce officielle au début
du mois. En même temps, aussi, Java est interprété
comme n'importe quelle instruction machine.
Les
machines virtuelles ne sont-elles pas aussi très
gourmandes en temps de calcul ?
Elles sont à la pointe de la
technologie. Concernant la performance, nous avons beaucoup
optimisé Crusoë pour produire une machine virtuelle
compétitive. Nous avons développé une
architecture spécifique pour assurer rapidement la
traduction d'un environnement, d'un langage à un
autre. En fait, notre technologie intègre le VMWare,
qui représente de multiples machines virtuelles.
Où plutôt, notre technologie rend cela possible.
En
quoi Crusoë va-t-il aider les entreprises à
mieux fonctionner avec Internet ?
D'abord, nous nous adressons à
de multiples marchés, qui sont aussi bien les PCs
que les terminaux légers. Les bénéfices
que nous apportons sont énergétiques, et nous
contribuons ainsi au développement d'Internet. Ensuite,
notre deuxième force tient dans la reprise des logiciels
existants sur les plates-formes x86. Or, beaucoup d'entreprises
sont en train d'explorer les alternatives à Microsoft,
et voient Linux arriver avec une vraie valeur, notamment
en terme de disponibilité. Enfin, cela dépend
aussi de l'utilisateur et de ce qu'il veut faire. Et nous
nous positionnons précisément sur l'utilisateur
et ce qu'il cherche à réaliser.
Selon
vous, comment vont évoluer les technologies mobiles
et notamment les assistants personnels ?
La tendance générale
du marché va dans le sens d'une réduction
de la masse des terminaux, qui pèsent à présent
aux alentours de 7 livres ( environ 3,2 kilos).
Pour nous, il s'agit de fournir le meilleur processeur fonctionnant
sur les différents modèles, et nous estimons
que 4 livres (1,8 kilos) sont largement suffisantes.
Mais il faut savoir qu'actuellement, les constructeurs testent
les limites de ce qu'attendent les utilisateurs. Dans cette
quête, ils saisissent très vite les intérêts
que peut apporter l'allongement de la durée de fonctionnement
de la batterie. Et voici, preuve à l'appui [Ed Kelly
montre un assistant personnel Vaio de Sony doté d'une
caméra], ce que peut apporter notre technologie avec
une vitesse de 600 MHz. Les constructeurs rendent ainsi
possible de nouvelles utilisations de ces assistants mobiles,
avec en plus la possibilité de rajouter davantage
de fonctions. C'est comme avec un Pilot, vous avez tout
ce dont vous avez besoin où que vous soyez.
Quelles
sont vos prévisions concernant Transmeta ?
Notre principal objectif est de poursuivre
le développement de l'entreprise. Pour nous, il s'agit
d'une longue route que nous allons suivre en concevant des
produits de plus en plus élaborés. Nous croyons
que notre technologie va vivre longtemps dans la durée.
Et la période actuelle est pour nous un bon commencement.
Nommé directeur de l'ingénierie des systèmes
de Transmeta en janvier 2000, Ed Kelly rejoint l'entreprise
en tant qu'ingénieur système avant sa création
avec ses collègues d'une équipe de développeurs
en provenance de Sun Microsystems. Chez cette dernière
de 1984 à 1995, il assure notamment la conception
de la première station Sparc, et est l'architecte
de la gamme Sun4 et de la technologie MBus, ce qui lui vaut
d'être distingué des autres ingénieurs.
Diplômé en 1975 d'un Bachelor of Engineering
de l'University College de Dublin en Irlande, il démarre
sa carrière en Grande-Bretagne où il est successivement
ingénieur de conception pour plusieurs sociétés
comme Marconi, ITT et General Instruments. C'est en 1978
qu'il part s'installer à San Jose dans la Silicon
Valley en tant qu'ingénieur principal de Kaiser Electronics.
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