28/08/01
Internet,
la voie du manager idéal
"La
vie se définit désormais en fonction de la position
que nous occupons par rapport à Internet." Propos provocateur
au moment où la bulle de la nouvelle économie n'en finit
pas de se dégonfler ? Pas du tout ! Cette phrase sert
d'ouverture au très sérieux ouvrage Evolve, signé récemment
par Rosabeth Moss Kanter, professeur renommé de la célèbre
Harvard Business School. La thèse en est relativement
simple : malgré un contexte économique plutôt chaotique,
Internet est le moteur d'une évolution en profondeur
dans l'organisation des entreprises, dans celles d'hier
comme celles de demain. Ainsi, il n'y aurait plus aujourd'hui
que trois types d'organisations:
Les
dotcoms, celles dont l'activité première tend
à exister en premier lieu sur Internet
Les
dotcom-enablers sont les fournisseurs de technologie
et de services qui diffusent le grand message évangélisateur
de l'Internet
Les
wannadots, enfin, celles qui aimeraient participer
à la grand messe Internet, représentent tout le reste
: entreprises existantes, écoles, hôpitaux, agences
gouvernementales, etc.
Dans ces conditions, l'entreprise qui n'est pas née
avec Internet n'a pas tellement de choix pour assurer
sa survie : elle est condamnée à évoluer. D'où le titre
de l'ouvrage. Non pas que l'auteur y prétende que le
grand réseau a fait table rase de tout ce qui précède
: au contraire Rosabeth Moss Kanter reproche à certains
observateurs de considérer que le phénomène actuel se
déroule dans un vide historique, de ne pas tenir compte
des évolutions précédentes, d'afficher trop souvent
le syndrome de la lobotomie de la nouvelle économie.
Tout en étant consciente de cela, R. M. Kanter n'envisage
point de salut en dehors d'une adaptation des structures
au modèle de fonctionnement induit par Internet. Que
recommande-t-elle donc après avoir étudié en détails
nombre de sociétés américaines de tout âge ?
Envisager
la stratégie de développement comme une improvisation
théâtrale. Quand les résultats à atteindre ne sont pas
réellement connus à l'avance, c'est l'action elle-même
qui constitue le principal objectif. Un thème général
est défini et les collaborateurs développent différents
scénarios au fur et à mesure qu'ils interagissent. Ils
pourront s'appuyer sur des techniques de prototypage
rapide d'applications pour concrétiser leurs idées.
Entretenir
un réseau de partenaires. Celui-ci doit être
tissé entre les trois types d'acteurs : start-up Internet,
fournisseurs de technologies et entreprises traditionnelles.
Reconstruire
son organisation comme une communauté. Il faut
aplanir les hiérarchies, fluidifier les frontières,
raisonner en termes d'équipes, accorder plus d'importance
aux processus qu'à la structure. Mais attention : ce
ne doit pas être la porte ouverte à la décentralisation.
Au contraire, affirme R. M. Kanter, Internet est une
force de recentralisation qui permet de présenter rapidement
une vision unique à ses clients.
Attirer
et conserver les meilleurs talents. Internet
créant un monde de mobilité, c'est sans doute le défi
le plus délicat à relever. Il faut parvenir à construire
une culture d'entreprise intégrant la volatilité des
activités sur le réseau. On trouvera dans l'ouvrage
de R. M. Kanter des analyses fines de politiques mises
en place par les grandes entreprises, toutes jeunes
comme Abuzz (start-up spécialisée dans les enchères)
ou bien plus anciennes comme Honeywell ou Reuters pour
donner une vision de leur avenir aux plus jeunes recrues
de l'entreprise.
Ces conseils, nous les avons tous lus et relus. Bien
peu les ont appliqués. Sans doute parce qu'ils sous
entendent une profonde évolution des mentalités. L'auteur
d'Evolve souligne, en conclusion, que ceux qui ont réussi
ont laissé la curiosité et l'imagination guider leur
stratégie, qu'ils se sont montrés adeptes fervent de
la communication (pas uniquement par courrier électronique),
qu'ils ont développé une vision du monde cosmopolite,
qu'ils ont développé des aptitudes pour résoudre des
problèmes complexes, qu'ils se sont montrés sensibles
à l'éventail des besoins de chacun lorsqu'ils ont créé
leurs structures, qu'ils ont travaillé avec leurs collaborateurs
en les considérant comme des ressources et non pas comme
des subordonnés, qu'ils ont convaincu par la puissance
de leurs idées et la force de leurs voix plutôt que
par leurs prises de position formelles. Internet ouvrerait-il
la voie au manager idéal ? Rosabeth Moss Kanter en fait
résolument le pari.
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