JURIDIQUE 
L'utilisateur d'un logiciel peut-il accéder aux codes source?
par Jérôme Perlemuter et Paul Hebert
Avocat à la Cour de Paris
http://www.internet-juridique.net (Mardi 9 avril 2002)
         
 
Si l'auteur d'un logiciel jouit en principe d'un droit de propriété exclusif, la loit prévoit toutefois quelques exceptions. Qui permettent à l'utilisateur d'accéder au code source.
          

La loi prévoit dans certains cas, par exception au monopole de l'auteur, la possibilité pour l'utilisateur d'accéder aux codes source du logiciel sans l'autorisation de l'auteur. Celui-ci doit donc encadrer strictement et organiser, par le contrat, cette atteinte à ses droits.

par Jérôme Perlemuter,
Avocat à la Cour,
et Paul Hebert
Cabinet Salans Hertzfeld & Heilbronn

L'auteur d'un logiciel jouit sur celui-ci, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété exclusif et opposable à tous (article L. 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ou CPI). Pour en retirer un bénéfice commercial, l'auteur choisit souvent de concéder à des clients tout ou partie de ses droits, au premier rang desquels celui d'utiliser le logiciel. Aussi, le Code de la propriété intellectuelle précise que tous les actes que l'auteur n'aura pas autorisés par contrat seront strictement interdits (article L. 131-3 CPI).

Pourtant, l'utilisation du programme contraint fréquemment le client à devoir l'adapter ou le modifier en fonction de ses besoins, en corriger certaines erreurs ou le rendre interopérable avec d'autres logiciels. Il lui faut alors accéder aux codes source, langage de programmation seul compréhensible par le développeur, bien qu'il n'y soit pas nécessairement autorisé par le contrat de licence.

En considération de cette difficulté, l'article L. 122-6-1 CPI (transposant la Directive européenne du 14 mai 1991) prévoit dans certains cas, par exception au monopole de l'auteur, la possibilité pour l'utilisateur d'accéder aux codes source du logiciel sans l'autorisation de l'auteur (A/). Il convient par conséquent pour l'auteur d'encadrer strictement et d'organiser, par le contrat, cette atteinte à ses droits (B/).

A. L'utilisateur peut accomplir certains actes sans l'autorisation de l'auteur
L'article L. 122-6-1 CPI autorise l'utilisateur à accomplir deux types d'actes : ceux permettant une utilisation du logiciel conforme à sa destination (1°) et ceux visant à " décompiler " le logiciel à des fins d'interopérabilité avec d'autres logiciels (2°).

1°. L'utilisateur peut accomplir des actes permettant une utilisation du logiciel "conforme à sa destination"
L'article L. 122-6-1 CPI dispose que les actes de reproduction, traduction, adaptation ou arrangement d'un logiciel "ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs". Faute de définition légale de la notion de "destination", la doctrine précise que le logiciel est conforme à sa destination lorsqu'il est capable de traiter les informations en vertu des "fonctionnalités voulues" par l'auteur et programmées comme telles. Mais cette définition demeure relativement vague et, sauf pour corriger les erreurs, hypothèse explicitement prévue par la loi, il est malaisé de déterminer dans quels cas l'utilisateur peut intervenir sur le logiciel.

En particulier, il convient de se demander si l'article L. 122-6-21 CPI permet à l'utilisateur de faire évoluer le logiciel. La doctrine le suggère en indiquant que, par "droit d'adaptation", la loi réserve à l'utilisateur la faculté de faire évoluer le logiciel. Ainsi, l'on peut considérer que l'utilisateur peut notamment faire évoluer le logiciel pour l'adapter à la réglementation administrative ou fiscale (par ex. en cas de changement du taux de TVA ou de l'impôt). Il est toutefois certain que le droit de faire évoluer le logiciel ne saurait en aucun cas permettre à l'utilisateur d'ajouter au logiciel de nouvelles fonctionnalités. De tels ajouts peuvent entraîner, juridiquement, la création d'une œuvre dérivée, synonyme, en l'absence d'autorisation de l'auteur… de contrefaçon (Versailles, 7 octobre 1999, Bakary-Gando c/ SA Fiat Auto France).

2°. L'utilisateur peut décompiler le logiciel à des fins d'interopérabilité avec d'autres logiciels
La décompilation est l'opération qui consiste à passer du code objet, seul compréhensible par la machine, au code source qui peut être lu par tout programmeur. En principe soumise à l'autorisation de l'auteur du logiciel, la décompilation peut être réalisée sans cette autorisation lorsqu'elle est nécessaire pour permettre au logiciel "d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement ces informations" avec un ou plusieurs autres logiciels (définition de l' "interopérabilité" retenue par la Directive de 1991).

Bien que le droit de décompilation soit d'ordre public, il est enfermé, en raison des risques que l'opération présente pour l'auteur, dans des conditions strictes. Il suppose d'abord que les informations nécessaires ne soient pas facilement accessibles par une autre voie. Il ne peut ensuite être exercé que par l'utilisateur lui-même ou une personne dûment autorisée par lui. Enfin, il doit se limiter strictement aux parties du logiciel nécessaires à son interopérabilité et les informations obtenues ne doivent pas être utilisées à d'autres fins que la réalisation de l'interopérabilité. Toutefois, malgré l'encadrement du droit d'accès aux codes source par l'utilisateur, l'aménagement du contrat de licence reste à bien des égards la meilleure garantie de ses droits pour l'auteur.

B. L'encadrement des droits de l'utilisateur par le contrat
Le contrat peut notamment permettre de circonscrire la notion de "destination" du logiciel, qui limite les droits de l'utilisateur (1°) et prévoir que l'auteur se réserve la maintenance corrective (2°). Il peut également organiser la remise des codes source par l'auteur ainsi que les modalités d'accès à ces codes (3°).

1°. Le contrat sert de référent à la notion de "destination"
L'utilisateur ne peut accomplir, sans l'autorisation de l'auteur, que les actes permettant une utilisation conforme à la destination du logiciel. La jurisprudence a eu l'occasion de préciser que cette destination est essentiellement définie par les documents contractuels. Ainsi, la Cour de cassation a refusé de considérer comme faisant partie de la destination d'un logiciel des fonctionnalités décrites dans un document émanant du prestataire informatique au motif que ce document n'avait pas de valeur contractuelle (Cass. com. 10 octobre 1989, Thepault c/ SMO). Il convient donc pour le client non seulement de définir ses besoins, mais également de lister très exactement les documents précisant les fonctionnalités souhaitées (cahier des charges ; documentation associée ; proposition commerciale…).

2°. L'auteur peut se réserver par contrat la maintenance corrective
L'article L. 122-6-1 CPI prévoit que l'auteur peut se réserver expressément le droit de corriger les erreurs. Compte tenu des enjeux financiers liés à la maintenance corrective et de sa volonté de n'autoriser personne d'autre que lui à accéder aux codes source, l'auteur fera le plus souvent valoir la possibilité qui lui est offerte par le texte de loi de conserver le monopole de la maintenance. La rédaction du contrat devra cependant ne laisser aucune ambiguité quant aux droits que se sera réservé l'auteur.

3° La remise des codes source et les modalités d'accès peuvent être prévues
Confronté aux risques d'atteinte à ses droits sur sa création, l'auteur pourra aménager les modalités d'accès aux codes source. Ainsi, les codes pourront être remis directement par l'auteur à l'utilisateur, mais il pourront aussi être conservés chez un tiers séquestre (par ex. l'APP). Il ne sera pas non plus inutile de mettre à la charge de l'utilisateur une obligation d'information de l'auteur dans l'hypothèse où il souhaiterait accéder aux codes source, obligation dissuasive pour l'utilisateur et permettant un contrôle de ses actes par l'auteur. La sanction de cette obligation d'information devra également être prévue.

Si l'auteur jouit en principe sur son œuvre d'un droit de propriété exclusif, force est donc de constater que la loi prévoit certaines atteintes à ce monopole. Seule la rédaction du contrat de licence permet alors à l'auteur d'encadrer les atteintes à ses droits. Dans cette optique, certaines clauses devront retenir tout particulièrement l'attention des parties, notamment la définition du logiciel, la liste et l'étendue des droits concédés, l'exclusivité ou non de l'auteur sur la maintenance, ou encore les cas de remise des codes source ainsi que les modalités de l'accès à ces codes.

[jperlemuter@salans.com]


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