Vous avez de quatre à
dix jours pour quitter les lieux. C'est, en gros, le
message qu'auraient reçu mardi ou mercredi les
clients de l'opérateur de réseaux IP pan-européen
KPNQwest,
joint-venture entre le néerlandais KPN et l'américain
Qwest. Jeudi 30 mai en fin de journée, la
société a publié sur son site un
communiqué
au ton plus qu'éloquent. Le quatrième
paragraphe débute ainsi : "Dans l'intérêt
de maintenir les activités des clients et la
continuité du réseau, la Compagnie conseille
à ses clients [d'envisager] de mettre en place
des plans d'alternance avec d'autres opérateurs
en l'éventualité d'une détérioration
significative dans la performance du réseau EuroRings
de KPNQwest."
Ce réseau couvre près de 25 000 km
de fibre déployée dans 18 pays, une
couverture accrue par l'acquisition d'un autre géant
européen, Ebone, en octobre 20001. En plus de
cela, KPNQwest dont nous avions interviewé
l'ex-directeur général français
en octobre 2001 disposait de plusieurs centres d'hébergement
lui ayant coûté chacun une petite fortune.
Par "détérioration significative",
il convient d'entendre des "instabilités"
voire "la mise hors tension totale" de ce
réseau selon le
communiqué suivant émis vendredi 31 mai
en fin d'après midi.
Les événements
se précipitent vers la dissolution
Une semaine auparavant, KPNQwest en quête de repreneur
visait la protection de ses actifs derrière la
Dutch Moratorium Law, équivalent néerlandais
du chapitre 11 de la Loi américaine sur les banqueroutes.
A
présent, c'est la fermeture qui est envisagée,
aucun candidat au rachat ne s'étant fait connaître
à temps pour la totalité de ses actifs.
Dans le communiqué du 31 mai, KPNQwest déclare
la conversion du moratoire en banqueroute, et indique
vaguement la poursuite de négociations avec un
repreneur dont le nom n'est pas évoqué.
De nombreux analystes citent le nom du plus important
opérateur américain, AT&T,
comme providentiel du fait d'une volonté affichée
par ce dernier de s'implanter en Europe.
A l'heure où nous bouclions cet article vendredi,
le sort de la filiale française n'était
pas encore connu. La direction aurait demandé
aux commerciaux jeudi soir de rendre leurs véhicules
de fonction. Une incertitude a été véhiculée
au sujet du paiement des salaires, et il y a près
d'une semaine l'abandon des projets était déjà
mentionné en interne. Certaines filiales, cite
le dernier communiqué, ont demandé leur
protection selon les lois locales en vigueur. Mais le
sort du siège des opérations internationales
en Belgique, par exemple, apparaît déjà
connu. D'après une dépêche de Reuters,
c'est la fermeture pure et simple qui attend le bureau
bruxellois.
Des
risques qu'il faudra désormais prévoir,
dixit Witbe
Selon
un communiqué
de l'agence d'informations financières Bloomberg,
le fournisseur de services Internet BT Ignite, filiale
de l'opérateur historique anglais British Telecom,
et l'opérateur alternatif britannique Colt Telecom
ont été appelés par plusieurs clients
de KPNQwest.
Une
information qui nous a été confirmée
vendredi après-midi par le président-directeur
général de Witbe,
Jean-Michel Planche, qui cite également France
Télécom parmi les sauveteurs providentiels
contactés sur le sol français. D'autres
sociétés tentent aussi de tirer leur épingle
du jeu, dont le prestataire de réseaux privés
virtuels Vanco.
"Nous avons mis en place une équipe spécialement
dédiée pour répondre aux demandes
des clients mécontents de KPNQwest en un temps
record", déclare Eric Havette, son directeur
général France. "Nous ne possédons
pas d'infrastructures en propre et nous travaillons
chez différents opérateurs avec qui nous
avons signé des accords de sous-traitance."
De son côté, le dirigeant du prestataire
de gestion d'infrastructures indique que son entreprise
figure parmi les clients de l'opérateur en déroute,
en particulier en Italie. Selon Jean-Michel Planche,
"sur Milan nous nous débattons pour migrer
en priant que KPNQwest ne va pas couper plus vite le
réseau qu'il ne l'a dit. Nous venions de déménager
il y a deux semaines du centre d'Interxion qui nous
a mis dans les bras de KPNQwest, et nous en avons marre
de déménager d'autant plus que cela n'est
pas gratuit. Fort heureusement, nous avons une politique
multi-origines et multi-opérateurs. Mais ceux
dont l'activité est purement concentrée
sur Milan vont avoir de sérieux problèmes.
Je connais de gros clients français qui sont
dans l'embarras."
"Même en ce qui nous concerne", poursuit-il,
"nous sommes en train de revoir tous nos contrats
pour assurer la sérénité de la
continuité de service, en incluant des clauses
de pérennité, et il faudra qu'ils paient.
[...] Nous avons repris des discussions avec la plupart
des opérateurs historiques dans chaque pays,
en regardant leurs capacités d'échange
et leur niveau d'excellence. Mais nous sommes un cas
quasi-atypique car nous sommes indépendants et
nous ne fermons pas boutique si un opérateur
fond. Notre stratégie consiste au maximum à
être présent dans des lieux les plus neutres
possibles." Une politique salutaire qui consiste
aussi à ne pas mettre tous ses oeufs dans le
même panier, pour ceux qui en ont les moyens.
Or, parmi les 165 000 clients en Europe que visait KPNQwest
en octobre 2001 à l'issue sa consolidation avec
Ebone, combien pourront sauver les meubles ? Si les
grands comptes semblent d'avance être tirés
d'affaires, il pourrait en être autrement des
nombreuses PME dont une partie vivent de leurs revenus
en ligne.
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