Les opérateurs de
télécommunication mobile n'ont certainement
pas besoin d'une mauvaise nouvelle : la plupart
d'entre eux sont empêtrés dans des investissements
colossaux en équipements et en licenses UMTS.
Si l'on en croit deux études du Gartner
Group, leurs comptes risquent de ne pas s'améliorer
de si tôt : le GPRS
est en train de s'engager sur une pente inquiétante.
La technologie de transport de données 'haut
débit' de deuxième génération
pourrait même être remplacée par
la troisième génération avant même
d'être rentabilisée. Une nouvelle bien
inquiétante, qui vient confirmer celle du démarrage
en demi-teinte du GPRS.
A l'heure où
les ventes de terminaux mobiles compatibles se banalisent,
les abonnements au GPRS restent cloués au sol.
David Deighton, vice-président Mobile Business
chez Gartner Europe prend l'exemple "d'un revendeur
Anglais [qui] a écoulé 30 000 terminaux,
mais dont à peine 1 % des clients en question
utilisent les services GPRS".
Pourquoi
passer au GPRS ?
Pourquoi un tel flop ? Il y a bien sûr des
arguments rassurants : les terminaux qui exploitent
vraiment le GPRS
débarquent
à peine sur le marché, le parc des téléphones
en circulation est massivement incompatible, et nous
n'en sommes encore qu'aux prémices de la deuxième
génération. Mais il y a surtout deux gros
points noirs : "les applications mises en
avant par les opérateurs n'ont pas été
correctement dimensionnées pour les débits
du GPRS. Les offres que l'on devrait retrouver sur le
marché s'appuient sur des débits compris
entre 20 et 48 Kbits par seconde. C'est bien trop peu
pour une application comme le transfert de fichiers.
Ca ne suffit en réalité qu'au WAP. Pourtant,
il n'y a pas de secret : une technologie ne fonctionne
que si les services qu'on développe à
son intention sont séduisants, et utilisables
dans des conditions confortables. Ce type d'applications
est encore trop rare pour permettre la deuxième
génération de téléphonie
mobile de séduire".
Autre défaut
rédhibitoire du GPRS : son coût de
facturation. David Deighton prend l'exemple d'un professionnel
qui souhaiterait synchroniser Outlook depuis son terminal
GPRS chaque semaine : "Imaginons qu'il ait
5 Mo de mails à rapatrier. Le Mo de mail est
facturé 3 ou 4 dollars en moyenne. Ce qui met
le prix d'une synchronisation à 15 euros environ ..."
Sans compter que les communications sans fil sont d'une
qualité assez mauvaises: elles sont beaucoup
moins stables que celles du réseau filaire. Il
faut donc envisager le cas où la connexion serait
coupée en plein milieu de la réception
des mails. "Dans ce cas là, et à
supposer qu'on travaille avec Outlook, il faudrait recommencer
le processus de synchronisation à zéro".
De quoi dissuader les clients potentiels ...
Pas
de rentabilité à terme
Les analystes du Gartner pensent que le mauvais départ
du GPRS n'est pas le fait du hasard, et que les résultats
décevants accumulés ces derniers temps
devraient se confirmer à long terme. Dans deux
rapports Européen
et Etatsunien, le
cabinet d'analystes avance que les prévisions
les plus optimistes sont sur-évaluées
de 50 %. Pour mémoire, les investissements
déjà consentis par les opérateurs
de téléphonie mobile se montent à
113 milliards de dollars, ce à quoi il faudra
sans doute ajouter 6 à 9 milliards de dollars
selon le Gartner. Une somme à mettre en rapport
avec la petite vingtaine de milliards de revenus que
le Gartner attend pour le GPRS dans les années
les plus fastes ... En somme, le risque est grand
que les opérateurs ne parviennent pas à
rentabiliser leurs investissements avant la troisième
génération de téléphonie
mobile, qui débarquer dans les années
qui viennent. A l'heure où le nombre d'abonnés
entre dans une phase de croissance nulle, les conséquences
financières de l'échec du GPRS pourraient
être dévastatrices.
Seul ilot de calme
au milieu de la tempête : le marché
du B to E - entreprise vers employés. Pour Bill
Clarck, directeur de la recherche au Gartner Group,
le GPRS pourrait connaître quelques
exemples de 'success stories' dans ce domaine :
"Les entreprises pourraient comprendre que le GPRS
est la meilleure technologie pour les applications basées
sur des transferts d'informations très rapides".
Il faut donc s'attendre à un plébiscite
du GPRS pour acheminer des informations sensibles aux
employés en un temps record.
Une
lueur d'espoir ?
Sur le plan global, la situation est grave mais tout
n'est pas perdu. Comme le souligne David Deighton, "le
plus difficile à percevoir lorsque l'on crée
une projection sur le long terme, c'est l'évolution
des habitudes de consommation. Jusqu'à maintenant,
rien n'indique que le GPRS sera porté par une
"killer application". Tout indique plutôt
que la technologie va être boudée par le
grand public. Mais il suffit qu'une mode soit lancée,
un peu comme celle des SMS - qui se sont imposés
spontanément et sans grande campagne de marketing
- pour que nos prévisions se révèlent
inexactes. Il peut se passer beaucoup de choses en 3
ou 4 ans". Peut-on espérer que le GRPS sera
sauvé des eaux par une application salvatrice ?
Les opérateurs ont certes ménagé
une sucession aux SMS avec les EMS et MMS, qui permettent
d'envoyer des textes, des images et de la musique à
ses correspondants. Reste à savoir si la frange
la plus jeune de la clientèle
mordra à l'hameçon.
Deuxième lueur d'espoir : l'I-mode.
Fort de son spectaculaire succès au Japon, la
technologie de NTT DoCoMo tente de conquérir
le vieux continent. Une technologie qui demande un protocole
de transfert de données par paquets comme le
GPRS. Le mariage du GPRS et de l'I-mode pourrait donc
aider à rentabiliser les réseaux GPRS
dans certains cas. Pourtant, il est impossible de savoir
si l'I-mode parviendra à s'implanter en terre
européenne. Celà dépendra notamment
du coût de facturation du service, qui est extrêmement
bas au Japon, du succès en Europe des applications
qui font fureur sur l'archipel Nippon, de la disponibilité
de terminaux mobiles compatibles, etc ... Bouygues
Telecom parviendra-t-il à porter le succès
de l'I-mode en France sur ses seules épaules ?
Difficile à déterminer aujourd'hui. Le
risque de ne pas atteindre la masse critique demeure
donc très élevé pour le GPRS.
Pour David Deighton
"les opérateurs de télécom
étaient sans doute conscients des dangers que
comportaient leurs investissements, et ce dès
le début. Mais lorsque leurs concurrents se lançaient
dans l'aventure, pouvaient-ils se permettre de faire
l'impasse sur le GPRS ?". Un comportement
moutonnier qui pourrait bien coûter cher aux opérateurs
les plus fragiles.
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