Ce jeudi matin, tout est rentré
dans l'ordre : les internautes de Free et de France
Telecom peuvent enfin surfer de l'autre côté
du tunnel. Les mails passent désormais dans de
bonnes conditions entre Free et Wanadoo, et les Wanadiens
peuvent accéder aux sites hébergés
par la galaxie Free. Hier soir à 20 heures, le
tuyau a été débouché et agrandi -
dans un rapport de 1 à 3 -, avec trois petites
heures de retard sur le planning initial. Les internautes
sont libérés, mais le bras de fer n'est
pas fini...
On connaît désormais
le fond de l'histoire : il y a deux mois, Free
somme France Telecom d'ouvrir une route plus grande
entre les deux réseaux, car un embouteillage
menace. France Telecom demande alors à Free de
payer pour ce câble plus gros, mais Free refuse.
Les deux opérateurs ont le même intérêt :
que le câble soit agrandi pour que leurs clients
puissent accéder aux sites et aux internautes
qui se trouvent de l'autre côté du tuyau,
et dans de bonnes conditions.
La
position de Free ne manque pas de fondement : "Lorsque
le trafic dans les deux sens est équivalent,
il n'y a pas de raison pour qu'un opérateur X
paye plus
cher qu'un opérateur Y", explique Me Pierre
Jean Blard, avocat qui a eu à traiter une affaire
comparable en Angleterre. Il y a deux ans d'ailleurs,
France Telecom se conformait à cet usage :
le câble qui reliait FT à Free n'était
pas facturé. Pourquoi ce brusque changement de
position ?
"No
man's land" juridique
"En matière de peering - accords d'interconnexion -,
c'est un peu la loi de la jungle : il n'y a pas
de règles, et on voit tout et n'importe quoi,
explique Me Pierre Jean Blard. Au cours des négociations,
les opérateurs se parlent sur des registres différents,
leurs approches sont radicalement étrangères,
et les négociateurs mettent très longtemps
avant de comprendre où leur concurrent veut en
venir".
Mais de là à
prendre en otage des millions d'internautes et des dizaines
de milliers de propriétaires de sites Internet,
en laissant le débit de leurs échanges
s'effondrer jusqu'à la coupure pure et simple
du robinet... De l'avis de quelques observateurs bien
placés, le duel auquel se sont livrés
les négociateurs de Free et de France Telecom
témoignent d'une bonne dose d'immaturité.
Free se défend en
prenant une posture qui lui est chère, celle
du chevalier blanc : "France Telecom nous
demandait de payer 3 000 euros par mois, affirme
un reponsable de Free sous couvert d'anonymat. C'est
une broutille pour nous : notre chiffre d'affaires
dépasse les 10 millions d'euros par mois. Mais
nous n'avons pas voulu céder : il n'y avait
pas de raison que nous acceptions un accord injuste
et déséquilibré".
Jusqu'au-boutisme
Et d'ajouter : "Nous leur avons proposé
toutes sortes d'options techniques : ils auraient
pu préserver leur image, nous serions restés
connectés à leur point de peering et non
l'inverse ; et nous aurions pris en charge les travaux
techniques et la maintenance. Tout ce que nous voulions,
c'était d'éviter de payer une somme injustifiée".
Du côté de
France Telecom, l'entêtement est au moins comparable.
Malgré nos sollicitations, l'opérateur
historique n'a pas souhaité se justifier sur
le processus des négociations, se retranchant
derrière l'obligation de réserve qui est
la règle dans les affaires commerciales.
Mais s'agit-il bien d'une
affaire commerciale ? "C'est la tendance qui
se dessine, confirme Me Pierre Jean Blard : les
accords de peering ont de plus en plus tendance à
se monnayer. C'est sans doute l'approche la plus juste
et il est urgent que le milieu des FAI établisse
des règles en la matière." Mais pourquoi
Free devrait-il payer la note, puisque son point de
peering est aussi incontournable que celui de FT ?
Une question qui restera sans réponse.
On en est donc réduit
à des hypothèses. Et notamment à
celles du reponsable de Free : "France Telecom
a pensé que nous n'irions jamais jusqu'au bout,
et que nous finirions par payer. Cela semblait tellement
plus logique que nous cédions au chantage".
Une fois de plus, Free se fait donc l'apôtre de
la rébellion contre un opérateur historique
qui aurait oublié que la page du monopole est
tournée, pour des raisons "d'honneur et
de sens de la justice".
L'image de marque des deux
fournisseurs sort écornée de cette consternante
-mais courte- histoire. Les deux sociétés
travailleraient désormais à pacifier leurs
rapports. Pourvu que ça dure...
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