A
bien des égards, lorsqu'une société
souhaite faire développer une solution informatique
par un prestataire, il lui est difficile d'en comprendre
précisément tous les aspects techniques.
La matière informatique est en effet, par nature,
particulièrement complexe.
C'est pourquoi la jurisprudence
a développé, à la charge des prestataires
informatiques et au bénéfice de leurs
clients, une obligation inhérente aux contrats
dits informatiques : l'obligation de conseil.
Cette obligation de conseil
se distingue des simples obligations d'information,
de renseignement, ou même de mise en garde, parfaitement
classiques en droit commun des contrats en ce qu'elle
est plus contraignante.
Elle impose notamment au
prestataire informatique de s'informer des besoins réels
de son client et de lui livrer des outils adaptés
à ces besoins.
Le respect de cette obligation
de conseil est crucial, dans la mesure où tout
manquement est sanctionné sur le terrain de la
responsabilité contractuelle et la jurisprudence
est constante sur ce point. Dès lors, le manquement
à cette obligation peut justifier la résolution
du contrat et l'attribution de dommages-intérêts
et ce, en vertu de l'article 1184 du Code civil.
Mais quels sont les contours
réels de cette obligation de conseil ? Une jurisprudence
nombreuse, et en grande partie récente, a eu
l'occasion de les clarifier. Quatre enseignements majeurs
nous paraissent devoir ici être soulignés
:
1. Le prestataire doit
s'informer précisément des besoins de
son client
Qu'il s'agisse
de mettre en place une solution spécifique ou
une solution standard, le prestataire informatique a
toujours l'obligation de rechercher quels sont les besoins
de son client.
Dans un récent arrêt
du 19 février 2002, la Cour de cassation a confirmé
le raisonnement d'un arrêt de Cour d'appel qui
avait mis à la charge du prestataire, même
en présence de progiciels standards, une obligation
de recherche de la volonté du client et de ses
besoins.
C'est donc de manière
extensive que la jurisprudence envisage l'obligation
de conseil, et son respect s'étend à toutes
les hypothèses où une solution informatique
- spécifique ou non - est mise en place par une
société informatique.
2. Le prestataire doit
intervenir, en tant que de besoin, dans la définition
des besoins de son client
S'il appartient
au client d'exprimer ses besoins, le prestataire ne
saurait dénoncer, par principe, les insuffisances
du cahier des charges qui lui est remis.
Le Tribunal de commerce
de Paris a en effet précisé, dans une
décision du 23 mars 2000, qu'en sa qualité
de professionnel chargé de conseiller son client,
le prestataire doit attirer immédiatement l'attention
de celui-ci sur les éventuelles carences du cahier
des charges.
Cette décision est
parfaitement conforme à une jurisprudence antérieure
de la Cour de cassation, qui avait retenu la faute du
prestataire qui avait accepté de s'engager sur
des objectifs définis en termes généraux,
sans demander aucune clarification ni implication supplémentaire
de sa cliente. Pour la Cour, "le prestataire était
en mesure de prévoir, dès l'abord, les
difficultés ultérieurement rencontrées".
Dès l'origine d'un
projet informatique, le prestataire doit donc examiner
le cahier des charges que lui adresse son client avec
la plus grande attention et, éventuellement,
participer à la définition de ses besoins.
Faute d'accomplir ces diligences, il peut engager sa
responsabilité pour n'avoir pas dispensé
à son client les conseils appropriés.
3. Le prestataire doit
livrer des outils adaptés aux besoins de son
client
La jurisprudence
estime, en matière de contrats informatiques,
que le caractère inadapté des logiciels
vendus est de nature à engager la responsabilité
du prestataire sur le fondement du manquement à
son obligation de conseil.
Ainsi, dans un arrêt
du 15 mai 2001, la Cour de cassation a jugé qu'en
mésestimant les besoins réels de son client
et en lui vendant un logiciel non adapté à
ceux-ci, un prestataire n'avait pas respecté
son obligation de conseil.
Dans un arrêt précédent,
la Cour de cassation avait déjà conclu
qu'"après avoir relevé que le système
informatique conçu par [le prestataire] était
totalement inadapté aux nécessités
économiques, pour avoir été fondé
sur des considérations trop théoriques,
trop difficiles à accorder aux particularités
de l'entreprise utilisatrice et de sa clientèle,
la Cour d'appel, par ce seul motif, a pu retenir la
responsabilité [du prestataire]".
En d'autres termes, en
sanctionnant, en aval, l'inadéquation entre les
besoins du client et la solution installée, la
jurisprudence tire les conséquences de l'absence
de conseil du prestataire en amont. Cette solution audacieuse
confirme l'étendue que peut avoir l'obligation
de conseil.
4. L'obligation de conseil
s'applique à l'égard des clients spécialistes
et profanes
Même si
ce point demeure discuté, la jurisprudence a
plusieurs fois consacré le principe selon lequel
l'obligation de conseil du prestataire informatique
pèse même à l'égard d'un
client ayant des connaissance en la matière.
Par une décision
du 29 juin 2001, la Cour d'appel de Paris a ainsi considéré
que l'obligation de conseil s'impose au prestataire
même si le client est un professionnel disposant
de compétences en informatique. Les juges d'appel
ont sanctionné le prestataire informatique qui
n'avait pas cru devoir s'informer des besoins de son
client, alors même que l'activité de ce
dernier consistait à dispenser des formations
informatiques.
Toutefois, lorsque le client
est novice, les juges se révèlent plus
sévères à l'égard du prestataire.
Ainsi, dans un arrêt plus ancien, la Cour de cassation
avait retenu la responsabilité d'une société
informatique pour n'avoir pas cerné de façon
précise les besoins de sa cliente en soulignant
le contraste entre la première, vendeur professionnel
de produits informatisés complexes très
spécialisés, sophistiqués et, la
seconde, entreprise néophyte en la matière.
Force est donc de souligner
que les juges ont eu l'occasion, à plusieurs
reprises, de retenir la responsabilité du prestataire
informatique sur le fondement du manquement à
l'obligation de conseil.
Reste que pour le client,
il est souvent délicat de prouver que son prestataire
ne lui a pas dispensé les conseils appropriés.
En effet, pour engager la responsabilité de son
prestataire sur ce fondement, il lui appartient de rapporter
la preuve d'un fait négatif : l'absence de conseil.
Or, cette preuve est toujours difficile à fournir.
Par ailleurs, parallèlement
à l'obligation de conseil, la jurisprudence a
mis en place une " obligation de collaboration
" à la charge du client, qui lui impose
de rendre plus aisée la tâche du prestataire
informatique. En cas de contentieux, les juges sont
donc amenés à procéder à
un arbitrage entre ces deux obligations et se livrent
à une analyse précise des faits et des
obligations de chacun, analyse dite in concreto.
En amont, le même
équilibre doit être recherché dans
la rédaction des contrats informatiques, dans
la définition des obligations des parties.
|