JURIDIQUE 
Projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique : de la difficulté de légiférer sur le contrat numérique.
par Etienne Papin
Avocat, Cabinet Salans (13 mars 2003)
         
  Le Parlement vient de commencer l'étude du projet de loi pour "la confiance dans l'économie numérique". Le projet a été adopté le 26 février dernier en première lecture par l'Assemblée Nationale. Il sera examiné en juin par le Sénat. Ce texte vise notamment à transposer en droit français la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Il modifie de nombreuses règles applicables aux acteurs de l'Internet et s'intéresse notamment aux contrats conclus "en ligne".

Le projet de loi crée, en effet, un nouveau chapitre VII intitulé "Des contrats sous forme électronique" dans la partie du Code civil relative au droit commun des contrats. C'est une modification importante puisque jamais depuis 1804 ces dispositions n'avaient connu une telle mise à jour. Au regard de l'événement, on peut penser que des nécessités importantes justifiaient que l'on ajoute ainsi à nos principes fondateurs du droit des contrats. Certains modes de contractualisation à distance, notamment la "VPC" traditionnelle, se sont pourtant développés sans que le législateur n'éprouve le besoin de modifier le Code civil. L'intervention législative était-elle nécessaire pour le commerce "électronique" ? Les attentes seront déçues. La "confiance" dans l'économie proclamée au frontispice de la loi se délite lorsqu'on en examine le contenu.

Le projet de loi introduit dans le Code civil des dispositions réglementant l'offre de contrat électronique. Ces nouvelles dispositions imposent principalement quatre obligations au professionnel qui propose la vente de biens ou la fourniture de services sur Internet :

1ère obligation : l'offre de contrat électronique doit être matérialisée sous forme qui lui confère une certaine "durabilité"
Le futur article 1369-1 du Code civil dispose que tout professionnel qui propose par voie électronique la fourniture de biens ou de services doit transmettre les conditions contractuelles applicables "d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction". Le législateur se refuse malheureusement à aller plus avant dans le détail.

La formulation soulève pourtant plusieurs difficultés : de quelle "manière" les conditions contractuelles devront-elles être formulées pour être conformes à cette nouvelle disposition légale ? L'exploitant d'un site de commerce électronique devra-t-il expliquer à son cocontractant comment imprimer la page qui contient ses conditions de vente ou de service ? Mais nul n'est censé posséder une imprimante… Faudra-t-il inciter le cocontractant à télécharger une version électronique de ces mêmes conditions ? Les lui adresser par e-mail ? En l'état, le projet de loi n'apporte pas de réponse.

Plus fondamentalement, on s'interroge sur l'intérêt d'une telle disposition. Les moyens actuellement à la disposition des internautes ne leur permettent pas de conserver un document électronique qu'ils puissent efficacement opposer à leur cocontractant : le contenu d'une page web téléchargée ou imprimée est facilement contestable par celui à qui on prétend l'opposer. Il n'en serait autrement que si l'offrant adressait à son cocontractant un document sous forme numérique signé électroniquement de façon sécurisée. Mais l'usage de ces techniques est aujourd'hui loin d'être répandu dans le grand public.

S'il s'agissait pour le législateur, dans une inspiration consumériste, de protéger la partie faible au contrat, il aurait fallu assortir cette obligation d'un pouvoir de contrôle par les agents de la DGCCRF et indiquer les formes obligatoires de conservation des contrats. Le législateur semble ne pas être allé au terme de sa logique.

2ème obligation : l'offre doit être valable tant qu'elle reste accessible par voie électronique
Le projet d'article 1369-1 prévoit également que "l'auteur de l'offre est tenu par sa proposition tant qu'elle reste accessible par voie électronique de son fait".

Ainsi, toute entreprise disposant d'un site web marchand devra veiller à la mise à jour de ses pages web et ne pourra pas se retrancher derrière un défaut de mise à jour de celles-ci pour refuser d'honorer une offre commerciale présente sur son site web.

La disposition n'a rien de révolutionnaire et les solutions dégagées par la jurisprudence sont d'ores et déjà en ce sens.

La formulation soulève néanmoins une question à laquelle le texte n'apporte pas de réponse : est-il encore possible de prévoir explicitement qu'une offre de produits ou de services est faite pour une durée déterminée et expirera tel jour à telle heure ? Cette pratique, qui nous paraît protectrice des intérêts des consommateurs, ne devrait pas disparaître en dépit de la formulation de l'article 1369-1.

3ème obligation : l'offre doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires
L'offre devra, en outre, contenir un certain nombre de mentions informatives obligatoires, à savoir :

- les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique ;
- les moyens techniques permettant, avant la conclusion du contrat, de corriger les erreurs de saisie ;
- les langues proposées pour la conclusion du contrat ;
- le cas échéant, les modalités d'archivage du contrat par l'auteur de l'offre et les conditions d'accès au contrat archivé ;
- les moyens de consulter par voie électronique les règles professionnelles et commerciales auxquelles l'auteur de l'offre entend, le cas échéant, se soumettre.

Le texte ne prévoit pas cependant de sanction en cas de non respect par le professionnel de ce formalisme informatif. Selon la règle traditionnelle qui veut qu'il n'y ait "pas de nullité sans texte", il faudra donc en déduire que le non respect de cette obligation ne sera pas sanctionné par la nullité du contrat mais par l'allocation éventuelle de dommages et intérêts au consommateur victime.

On outre, le "cyber-marchand" ne devra pas omettre de faire le lien entre ce texte et les dispositions de l'article L. 121-18 du Code de la consommation, introduites en 2001 lors de la transposition d'une autre directive communautaire, celle relative à la vente à distance. Cet article prévoyait déjà un formalisme informatif important en matière d'offres de bien ou de services faites par un professionnel à distance. Un décret récent du 18 février 2003 vient d'ailleurs d'instaurer les sanctions pénales en cas de non-respect de cet article du Code de la consommation : il s'agit d'une amende fixée à 1.500,00 euros par infraction.

4ème obligation : le contrat doit être conservé par le professionnel
Le projet de loi adopté par l'Assemblée Nationale prévoit, comme dernier article de la partie consacrée aux "obligations souscrites sous forme électronique", d'instaurer dans le Code de la consommation une obligation qui nous semble inédite en droit français : l'obligation pour l'un des cocontractants - le professionnel - d'assurer la conservation de l'écrit constatant le contrat. Il s'agit en fait, pour une partie, d'assurer la pré-constitution de la preuve qui sera susceptible de lui être opposée !

Cette obligation n'apparaîtra que lorsque le contrat sera supérieur à une somme qui sera déterminée par décret. Ce décret devra également prévoir la durée de conservation du document.

Voici une nouvelle obligation qui suscite également de nombreuses interrogations. On peut imaginer que le professionnel, en quelque sorte dépositaire des documents contractuels de son client, sera tenu à une véritable obligation de résultat en matière de conservation de ces documents. Cela impose pour le professionnel la mise en place des moyens techniques adéquats. Mais quels sont ces moyens et quel devra être le format à retenir pour la conservation du contrat ? Ce format devra nécessairement présenter des garanties de préservation de son intégrité. Par ailleurs, qu'en sera-t-il au terme du délai de conservation ? Le professionnel pourra-t-il se contenter de détruire les documents ou faudra-t-il mettre en place une procédure permettant au consommateur de rentrer en possession de ses contrats ? Le projet d'article L. 134-2 nous semble d'ores et déjà générateur de nombreuses difficultés dont il faut espérer que le débat parlementaire permettra la résolution.


Les nouvelles dispositions légales doivent participer à la "confiance dans l'économie numérique". A l'étude du projet de loi, on perçoit cependant les difficultés de notre législateur pour maîtriser la volatilité retorse de l'Internet !

Le titre choisi par le projet de loi pour le futur chapitre VII du Code civil est symptomatique de ces difficultés. Celui-ci est intitulé "Des contrats sous forme électronique". La formulation n'est pas heureuse. Elle procède d'un mélange entre fond et forme. En effet, le caractère "électronique" du contrat ne provient pas de sa forme, en d'autres termes de son support, mais de son mode de passation à savoir la mise en relation à distance par l'Internet de deux personnes non présentes. Ainsi, paradoxalement, un contrat "sous forme électronique" pourrait parfaitement être constaté par un écrit papier traditionnel, un bon de livraison par exemple.

Mais on perçoit bien qu'au delà du fond, c'est bien sur un problème de forme que se heurte le législateur : comment assurer que le consommateur soit mis en possession d'un document fiable et durable qu'il puisse valablement opposer au "cyber-marchand" en cas de litige ? Dans l'économie numérique, il n'est pas simple de remplacer le papier…

 

 
 Etienne Papin
 
 

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