Gilles
Savary (Eurodéputé PS) : "Nous avons choisi
une alternative à la foire aux brevets américaine
et japonaise"
Alors que des amendements majeurs à la directive européenne sur les brevets logiciels viennent d'être adoptés, le parlementaire nous fait part de sa satisfaction, mais prévient des pièges à venir. (Lundi
29 septembre 2003)
Le Parlement européen vient d'adopter de nombreux
amendements au projet de directive européenne sur la brevetabilité des
inventions mises en uvre par ordinateurs. Une interdiction de toute brevetabilité
des logiciels - en tant que tels - semble s'en dégager, comme nous le commente
l'eurodéputé Gilles Savary.
JDNet Solutions. En quoi les amendements qui viennent
d'être votés vous satisfont-ils ? Gilles Savary. Ils clarifient une situation qui
n'était pas très satisfaisante et mettent fin à une véritable
dérive illégalitaire. L'OEB (Office Européen des Brevets)
s'était en effet mis à délivrer des brevets de façon
anarchique, en contradiction avec sa charte fondatrice. C'est "normal"
puisque l'OEB se paie sur les brevets déposés, plus il y en a, plus
il gagne de l'argent ! Il fallait donc prendre une position sans ambiguïté face
au dérapage incontrôlé de cet organisme.
L'écueil à éviter était de légaliser quelque 30.000 brevets logiciels
abusifs, acceptés par l'OEB. Le Parlement européen a choisi une autre voie, celle
de mettre de l'ordre entre ce qui peut être brevetable et ce qui ne peut l'être.
En matière de logiciels, la position du Parlement est à la fois protectrice des
intérêts de nos industries, en particulier de nos PME, et d'un droit d'accès universel
aux logiciels.
La directive doit être approuvée par le conseil des
ministres de l'Union européenne avant de revenir en seconde lecture au Parlement.
Ne craignez-vous pas que des modifications soient apportées entre temps
? Nous nous attendons à des coups bas. Nous avons peur des pressions
et nous sommes certains qu'il y en aura. Nous nous attendons à ce que le
commissaire Frits Bolkestein - très libéral et sensible aux lobbies
-, "resserve le plat". Frits Bolkestein a d'ailleurs déjà menacé d'abandonner
purement et simplement la directive, pour réformer l'OEB et s'adresser
directement à chaque Etat membre. Cela serait contraire à tout processus
démocratique.
Le grand message délivré par le Parlement européen est que
le logiciel est un langage universel, un langage d'accès universel et qu'il est
hors de question d'en faire un monopole. C'est un langage contemporain, de création,
de progrès, constitutif de l'évolution de nos sociétés et où la
créativité est foisonnante. C'est aussi un langage accessible à tous et diffusé
au plus grand nombre. Dans les rapports Nord/Sud, nous pensons également
que la liberté d'accès des pays en voie de développement est un meilleur
outil de progrès et de développement que l'aide directe, sujette à
détournement.
Cette première manche est extrêmement réjouissante,
elle montre que nous pouvons résister aux lobbies.
Mais il faut être vigilant et veiller à ce que
cette affaire reste traitée par le Parlement.
En
quoi cela protège-t-il les activités industrielles ?
Un petit historique est nécessaire. Les brevets ont été inventés
parallèlement à la grande révolution industrielle du 19e siècle,
pour financer l'innovation, pour protéger les lourds investissements réalisés,
en créant des situations de monopole et donc des systèmes de royalties
rémunératrices.
Vers la fin du 20e siècle, le profit et la création
de valeur ont été réalisés via des activités
immatérielles, via une économie de services. Le débat est philosophique
à ce niveau là, et sociétal. La question est en effet de savoir
si les brevets ne risquent pas d'envahir toutes les créations de l'esprit. Nous
avons répondu que le logiciel est une création de l'esprit et qu'il est protégé
par le droit d'auteur, donc rémunéré comme des uvres musicales ou littéraires.
Mais la directive protège également notre industrie. Si un logiciel
est utilisé dans une machine qui sert à peindre dans une chaîne
de fabrication, on peut breveter l'investissment physique ET le logiciel, mais
pas que le logiciel en tant que tel. On retouve ici l'esprit originel du 19e siècle
et de ses amortissements lourds - où le logiciel est partie prenante de
l'innovation industrielle - tout en proclamant la liberté logicielle. Nous avons
choisi une alternative à la foire aux brevets américaine et japonaise.