JURIDIQUE 
  Les logiciels libres à l'épreuve du marché
par Me Benoît de Roquefeuil
Cabinet Alain Bensoussan
            
 
 
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Les logiciels libres sont souvent présentés ou perçus comme des solutions alternatives aux logiciels dits propriétaires.

Outre les arguments d'ordre politique reposant sur des notions de partage et de libre exploitation des codes sources des logiciels, éminemment respectables, les arguments pratiques traditionnellement avancés pour promouvoir les logiciels libres sont d'ordres techniques, économique et juridique.

Les qualités techniques de certains logiciels libres sont aujourd'hui communément admises (essentiellement pour ce qui regarde les couches basses des systèmes d'informations) mais, en revanche, les avantages économiques et juridiques de ces produits ne sont pas exempts de critiques et d'incertitudes.

A titre préliminaire, il paraît nécessaire de rappeler la différence conceptuelle entre les logiciels libres et les logiciels propriétaires, celle-ci est principalement de deux ordres.

En premier lieu, les logiciels libres sont des logiciels dont les codes sources et la documentation associée sont mis à la disposition des utilisateurs, à titre onéreux ou à titre gratuit.

En second lieu, les utilisateurs de logiciels libres peuvent, à leur gré, et sans autorisation préalable, transformer et adapter les logiciels (les adaptations réalisées pouvant avoir différents statuts suivant les différents types de licence auxquels les logiciels se rattachent).

Cette notion de logiciels libres ne doit donc pas être confondue avec la notion de logiciels gratuits.

Par opposition, les logiciels dits propriétaires sont des progiciels qui sont fournis à titre onéreux ou parfois gratuit (freeware), mais uniquement sous la forme d'exécutables.

Cette notion de logiciels propriétaires ne doit donc pas être confondue avec la notion de logiciels spécifiques développés pour les besoins particuliers d'un utilisateur.

Les logiciels libres, tels que définis ci-dessus, représentent, a priori, une solution idéale pour l'utilisateur qui peut s'affranchir, à moindre coût, de la dépendance technique dans laquelle peut le tenir l'éditeur du progiciel propriétaire qui décide seul, par exemple, du calendrier et de la fréquence des changements de versions.

Pour autant, le marché des logiciels libres demeure marginal par rapport au marché des logiciels propriétaires et ce, vraisemblablement, pour des raisons économiques et juridiques.

Pas d'économie à tout prix, mais...
D'un point de vue économique, en premier lieu, les utilisateurs ne cherchent pas seulement l'économie à tout prix si le gain qualitatif est acquis, mais ne semblent pas pour autant, disposer à exposer des surcoûts pour l'intégration de logiciels libres.

Ainsi, un utilisateur d'une grande entreprise pouvait-il indiquer en août 2000 :

"Pour les utilisateurs, les efforts engagés pour configurer et installer un logiciel libre, ne doivent pas coûter plus cher que l'achat d'un logiciel commercial" (Gilles Briard, L'informatique professionnelle n°206, août/septembre 2002, page 13).

Or, contrairement à de nombreuses idées reçues, il est loin d'être évident que le coût d'intégration d'un logiciel libre soit moins élevé que celui d'un logiciel propriétaire.

En effet, une étude du Gartner Research en date du 19 juin 2003 démontre que les gains réalisés sur la mise en oeuvre d'un système d'exploitation Linux peuvent s'avérer très faibles pour de nombreuses entreprises et que les économies réalisées sur les coûts directs peuvent facilement être couvertes par les surcoûts induits par des coûts indirects d'intégration (formation, productivité, compatibilité des composants…) (Gartner Research, Research Note du 19 juin 2003, COM-19-8811).

Sécurité juridique insuffisante
En outre, d'un point de vue juridique, les logiciels libres risquent de ne pas procurer une sécurité suffisante aux sociétés commerciales, qui ne peuvent pas prendre le risque d'être troublées dans l'exploitation paisible des logiciels qu'elles exploitent, et recherchent des garanties de pérennité, que les licences de libres ne fournissent pas.

S'agissant en premier lieu de la garantie d'éviction, qui correspond à la garantie que doit avoir tout utilisateur de pouvoir exploiter paisiblement ses logiciels, sans risque de faire l'objet de poursuites en contrefaçon, les logiciels libres posent une difficulté.

En effet, il n'existe pas une licence de libre, mais de nombreuses licences qui définissent des droits et obligations distincts et constituent un véritable maquis juridique, dans lequel l'utilisateur aura les plus grandes difficultés à se retrouver.

Pour simplifier, on peut préciser qu'il existe deux grandes familles de licences de libre : les licences de type GPL et les licences de type BSD.

Les licences de type GPL sont les plus orthodoxes au regard de la philosophie du libre, on dit également qu'elles sont contagieuses, ce qui signifie que les adaptations réalisées à partir du code source des logiciels placés sous licence GPL doivent nécessairement être redistribuées sous licence GPL.

En revanche, les licences de type BSD ne sont pas contagieuses, elles autorisent que soit utilisé tout ou partie des codes sources libres disponibles pour être intégrées dans des logiciels privatifs, sous réserve que soit mentionnée l'origine des codes libres initialement réutilisés.

Certaines des licences de libre particulières, émanant de communautés plus restreintes et/ou plus spécifiques, sont réputées compatibles avec la licence GPL, et d'autres sont déclarées incompatibles.

Dès lors, l'utilisateur peut se trouver confronté à une première difficulté qui sera de déterminer quel est le statut des composants et logiciels qui lui sont fournis, et quelles sont ses obligations de "redistribution" à l'égard de la communauté.

Cette gestion peut s'avérer particulièrement délicate en cas de multiplicité de composants d'origines diverses.

Logiciels sans maître
En outre, cette obligation de redistribution et, par conséquent, de divulgation peut poser des difficultés pour un certain nombre d'entreprises qui ne sont pas désireuses de divulguer certains développements spécifiques qui sont propres à leur règles de gestion et sont susceptibles de leur conférer un avantage concurrentiel.

A ce sujet le président de la société Linagora, Monsieur Alexandre Zapolsky, relevait : "Il y a, en effet, un problème de fond.dans le domaine des logiciels libres, vous êtes en principe obligé d'ouvrir le code source de votre solution à l'ensemble de la communauté et donc aussi à vos concurrents. En dehors des universités et éventuellement du secteur public, il est économiquement illogique(et donc dangereux pour la survie de votre entreprise) de dépenser des sommes très importantes en recherche et développement si vous êtes dans l'incapacité de tirer un quelconque avantage concurrentiel de ces investissements." (Alexandre Zapolsky, L'informatique Professionnelle n° 206, août /septembre 2002, p 32 et suivantes)

Par ailleurs, les logiciels sont, par définition, des logiciels sans maître puisqu'ils sont le fruit du travail d'une communauté d'auteurs.

Or, cette communauté n'a pas de personnalité juridique, ce qui signifie que l'utilisateur n'a aucun recours en cas de trouble de jouissance et ne pourra pas appeler en garantie l'auteur du logiciel qu'il exploite (C.E. Benoît de Roquefeuil, La protection des logiciels libres, la limite du Copyleft, Gazette du palais, janvier/février 2003, pages 51 et 52).

De par l'absence de quelque garantie que ce soit, attachée au logiciel libre, en définitive, toutes les garanties d'exploitation paisibles, soit non seulement la garantie d'éviction, mais encore toutes les garanties de maintenance correctives et évolutives des produits, devront être fournies par le prestataire fournisseur du logiciel, soit, la plupart du temps, une société de service intégrateur.

Monsieur Zapolsky, indiquait à cet égard : "avec les logiciels libres, le modèle économique de l'éditeur disparaît au profit de celui du prestataire" (Alexandre Zapolsky, L'informatique professionnel n°206, août/septembre 2002, pages 32 et suivantes).

La garantie par les prestataires et les intégrateurs
Ce ne sont donc pas les auteurs directement qui s'engagent à garantir la pérennité du logiciel, mais les intégrateurs, prestataires de services, ce qui théoriquement ne pose pas de difficultés puisque les codes sources sont disponibles, mais en pratique, peut se révéler très rapidement problématique.

En premier lieu, le respect des garanties à donner, ne pourra être assuré qu'à la condition que le garant soit en mesure d'exécuter ses obligations sur une durée suffisante, ce qui suppose qu'il soit lui-même suffisamment stable et pérenne.

Or, force est de constater qu'en l'état , les SSLL (sociétés de services de logiciels libres ) sont souvent des structures légères qui ne disposent pas nécessairement des moyens et de la stabilité suffisante pour assurer la maintenance des solutions qu'elles développent.

En second lieu, la maintenance corrective et évolutive d'un logiciel libre suppose une mutualisation des contributions et, par conséquent, peut nécessiter un travail commun d'un nombre plus ou moins important de membres de la communauté des auteurs qui ne sont liés entre eux que par le partage de valeurs communes.

L'absence de structure organisée hiérarchiquement centralisant l'ensemble des besoins de corrections et développements et planifiant le rythme des versions, induit un risque pour les utilisateurs de ne pas pouvoir bénéficier de la compatibilité ascendante de leurs composants libres avec d'autres composants matériels et logiciels dans des délais compatibles avec les exigences de l'exploitation de l'entreprise.

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La qualité technique des logiciels libres est une condition nécessaire pour leur succès mais pas une qualité suffisante, En l'état, les logiciels propriétaires paraissent conserver un avantage concurrentiel certain en raison des garanties de sécurité et de pérennité qu'ils peuvent offrir et qui correspondent à des qualités marchandes essentielles.

Tribune publiée par Benoît de Roquefeuil le 22 octobre 2003.
 
 
 
 
 

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