CHRONIQUE 
PAR ALAIN LEFEBVRE
Manifeste pour une informatique (enfin) raisonnable
Première partie

L'internetisation de l'informatique ne s'est pas limitée au Web, à l'e-mail et à quelques services phares. Elle est encore en cours et permet d'initier une pratique de l'informatique professionnelle entièrement différente...  (18/05/2004)
 
Alain Lefebvre est consultant, conférencier et écrivain
 
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Alain Lefebvre

L’informatique professionnelle existe maintenant depuis 40 ans. Avec ce recul et avec la rapidité d’évolution qui la caractérise, on serait en droit d’attendre un niveau de maturité élevé. Ce n’est pas le cas.

L’informatique devrait être simple, pérenne et économique, en un mot, raisonnable. Mais “raisonnable” est bien le dernier adjectif qui vient à l’esprit quand on évoque l’informatique professionnelle !

Pourtant, les éléments sont présents pour initier une nouvelle période dans l’informatique professionnelle, pour rompre avec les pratiques habituelles et faire en sorte que la promesse “plus vite, plus simple, moins cher” devienne enfin une réalité.

La crise née de la bulle Internet devait changer les choses (fournisseurs moins menteurs et moins rapaces, clients plus avisés et plus raisonnables) mais il n’en est rien. On s’aperçoit que, dès que l’horizon se dégage un peu, le marché reprend ses vieux réflexes.

Mais il y a de nombreuses raisons de croire que l’on est à l’aube d’un vrai tournant dans la pratique de l’informatique, le troisième. Le tout premier avait été initié par l’apparition des mainframes “standards” qui avaient permis à l’informatique professionnelle de naître pour de bon. Mais comme cela se situait dans les années 60, peu s’en souviennent !

Le second tournant s’est appuyé sur l’apparition et la généralisation des PC. Il a mis 10 à 15 ans à produire ses effets mais c’est bien ce second tournant qui a entrainé les applications client-serveur, l’usage des interfaces graphiques et les progiciels standards (façon SAP).

 
"L'Internet ne va pas se limiter au Web, à l'e-mail et à quelques services phares..."
 

Le troisième tournant, c’est celui de l’internetisation de l’informatique et il a lieu en ce moment. Peu s’en sont aperçus mais tout est réuni pour déclencher un changement dans les pratiques comparable à deux premiers tournants (qui avaient eu un impact considérable, chacun à leur époque).

Tout le monde a crû que l’émergence de l’Internet c’était le Web (les sites de contenus), l’e-mail (un façon standard d’échanger des messages en asynchrone) et quelques services phares (Yahoo, Amazon, Ebay, Google). C’est vrai en surface, c’est vrai sur le devant de la scène mais cela ne va pas se limiter à cela de même que le PC n’a pas apporté
que le tableur…

En quoi les éléments nouveaux permettent d’envisager de nouvelles pratiques ?

L’article "IT doesn’t matter” de Nicholas Carr a été un déclencheur. Cet article a permis de “désacraliser” le caractère stratégique de l’informatique. Il faut en finir avec cette notion qui apporte plus de mal que de bien. Il est rare que l’informatique soit réellement stratégique pour une entreprise et ce n’est pas une bonne manière de la gérer.

Autre déclencheur important, le mouvement Open Source et les projets qui s’en dégagent (Mozilla, Open Office, la plate-forme LAMP). La dynamique de l’Open Source a prouvé que l’innovation technique et la pérennité ne venaient pas des grands éditeurs, au contraire. Désormais, ce sont les projets Open Source qui fournissent la base technologique sur laquelle les fournisseurs doivent s’appuyer (et les clients doivent vérifier cela). Certains hébergeurs Web montrent l’exemple en offrant aujourd’hui des serveurs qui reposent sur LAMP (Linux, Apache, MySQL, PHP) et ils seront de plus en plus nombreux à privilégier cette plate-forme à cause de sa popularité et des avantages qu’elle présente.

 
"Les services standards tel que l'e-mail vont de plus en plus être consommés via des grandes plate-formes..."
 

Autre élément nouveau significatif, le renouveau de l’externalisation avec les premières success-stories comme Salesforce.com. Le succès de Saleforce a permis de remettre en piste la notion d’ASP (une autre confirmation du principe des deux vagues). Il ne s’agit pas d’un événement isolé sans signification, il s’agit d’une véritable “preuve de concept” qui montre la voie. La consommation de logiciels à
l’échelle de l’entreprise va se faire comme cela désormais et pas seulement pour les PME. L’externalisation ne va pas se limiter à l’utilisation d’applications complètes, les services standards tel que l’e-mail vont de plus en plus être “consommés” via des grandes plate-formes comme Google, Ebay, Amazon et Yahoo. Cette tendance illustre une autre facette de la mutualisation à grande échelle qui est la force directrice de ces prochaines années.

Toujours dans le domaine des services logiciels, REST est une vraie perçée dans le domaine –bloqué- des Web services. REST est l’illustration idéale qu’on peut faire “plus vite et plus simple” (et donc pour bien moins cher) dès qu’on accepte de sortir des sentiers balisés par les fournisseurs. Les grands fournisseurs préconisent l’approche SOAP en matière de web services mais cette approche s’est révélée être une impasse. Heureusement REST apparait comme la bonne alternative qui n’a qu’un seul handicap : celle de n’être pas encore assez connue. Mais comme REST est aux Web services ce que l’Open Source est aux projets logiciels, gageons que cette relative confidentialité va disparaître rapidement.

On voit bien que cet ensemble d’éléments nouveaux représente bien plus que quelques perçées intéressantes. Il s’agit des bases sur lesquelles initier une pratique de l’informatique professionnelle radicalement différente.

Il y a quelques années, c’était les entreprises qui achetaient les PC les plus avancés sur le plan technique puis, quelques années après, les constructeurs les proposaient au grand public. Aujourd’hui, c’est l’inverse, c’est le marché grand public qui donne le ton en matière de technologie sur les PC, le marché professionnel se contente de suivre, à distance. C’est le même type “d’inversion” qui s’est opéré sur le Web et l’Internet. Alors que les grands groupes se sont échinés à mettre sur pieds des marketplaces sur-mesure, Ebay construisait son audience tranquillement sur l’immense marché des particuliers. Aujourd’hui ce sont les entreprises qui se rallient en masse à la “marketplace standard” qu’est devenue Ebay…

 
"Aujourd'hui, le ton en matière de tendance technique n'est plus donné par Microsoft, Oracle ou Sun mais par Google, Amazon ou Ebay..."
 

Sur les Web services, les pros sont en train de s’enterrer de la même façon pendant qu’Amazon est en train de devenir le leader mondial dans ce domaine grâce à REST. On pourrait ainsi multiplier ces exemples d’inversions significatifs mais on peut aussi les résumer ainsi : les leaders, les influenceurs technologiques qu’étaient traditionnellement des acteurs comme Sun ou Oracle ont perdu leurs pertinences (d’ailleurs, ils se recroquevillent sur leurs ennuis financiers ou sur leurs OPAs hostiles… abandonnant ainsi de fait leur rôle d’éclaireurs). Aujourd’hui, le ton en matière de tendance technique n’est plus donné par Microsoft, Oracle ou Sun (pour n’en citer que quelques-uns) mais plutôt par Google, Amazon ou Ebay.

Et il ne s’agit pas là d’une anecdote mais bien d’une tendance lourde et significative comme on a pu le constater lors des deux premiers tournants (qui ont vu aussi les leaders et les influenceurs changer de nature).

Tout comme les deux premiers tournants ont changé le paysage en profondeur (même si, à chaque fois, cela a pris des années), l’Internetisation de l’informatique (car c’est là l’essence du 3ème tournant) va remettre en cause aussi bien les habitudes, les réflexes que l’offre du marché (et donc la façon dont les clients “consomment” l’informatique).

Mais, pour tirer pleinement parti de cette évolution inéluctable, il faut aussi faire quelques efforts. C’est pourquoi je propose aujourd’hui dix principes pour passer à une informatique enfin maitrisée, principes qui seront énumérés dans le second volet de cette chronique.

Deuxième partie : 10 principes pour passer à une informatique (enfin) maîtrisée


Alain Lefebvre
 
 

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