En Europe, les algorithmes sont exclus du champ
du brevetable, car ils sont équivalents
à des théorèmes et relèvent
donc d'une science mathématique que l'on
voue au patrimoine commun de l'humanité.
Afin de permettre l'interopérabilité
de systèmes et de favoriser l'émergence
d'une offre concurrentielle autour des standards
de fait, formats de fichiers et protocoles ne
sont pas brevetables.
Le logiciel en tant que tel est protégé
par le droit d'auteur, harmonisé au niveau
mondial par la convention de Berne. Enfin, lorsque
des effets techniques sont obtenus par des inventions
mettant en oeuvre l'ordinateur, ces effets peuvent
fonder les revendications d'un brevet. Des aspects
théoriques jusqu'aux effets matériels,
le schéma de protection européen
du logiciel est donc aujourd'hui graduel et équilibré.
Faut-il le modifier ?
Le brevet est un mode de protection inadapté
au logiciel
Peu cher à créer, distribuable
à l'infini à coût nul, le
logiciel permet aux produits à succès
d'atteindre des marges proches de 100%. Sous le
régime du droit d'auteur, cette singularité
économique conduit à une concentration
extrême du secteur de l'édition.
Des solutions de compensation ont émergé.
Elles reposent sur la capacité de mettre
en commun des oeuvres immatérielles : standards
ouverts et logiciel libre. Respectueuses du droit
d'auteur, les licences libres permettent une amélioration
collaborative du code, une assurance-qualité
basée sur la révision paritaire,
une adoption à moindre coût pour
l'utilisateur qui évite d'être captif
d'éditeurs et enfin le développement
d'une activité économique locale
indépendante basée sur la vente
de matériel ou de services.
Le Conseil européen a proposé le
18 mai une directive sur la brevetabilité
des inventions mises en oeuvre par ordinateur.
Des experts en propriété intellectuelle
expliquent qu'il laisse suffisamment de place
à l'interprétation pour légaliser
l'obtention de brevets protégeant des logiciels,
algorithmes, formats et protocoles (que l'on regroupe
communément sous le terme de "brevets
logiciels"). A la différence du droit
d'auteur, un brevet permet à son détenteur
de revendiquer des droits sur la création
originale d'un tiers et d'en entraver la distribution.
Les brevets logiciels sont une réalité
aux Etats-Unis depuis de nombreuses années.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les
travaux théoriques menés aux Etats-Unis
pendant le conflit donnèrent naissance
à une industrie qui se développa
rapidement, loin d'une Europe accaparée
par la reconstruction. La domination actuelle
qu'exercent les Etats-Unis sur le marché
mondial du logiciel, dont ils représentent
50%, peut s'expliquer par le contexte historique
plus que par le cadre législatif. Corroborant
de nombreuses analyses sur des années d'observations,
la Federal Trade Commission a rendu en novembre
un rapport qui pointe les effets pervers du système
des brevets logiciels.
Le logiciel n'est pas assimilable à une
production industrielle classique. Il s'en distingue
par une innovation cumulative par nature, un rythme
d'obsolescence rapide, des investissements de
R&D comparativement limités et la capacité
d'être répliqué et distribué
à coût marginal nul. Le développement
de code est une ingénierie maîtrisée
qui génère un foisonnement de projets
qui ne peuvent pas être considérés
comme des inventions.
Pour la seule année 2003, entre 3 et 4
millions de brevets logiciels ont été
déposés aux Etats-Unis. Leur multiplication
est moins la mesure du degré d'innovation
du secteur que celle de la difficulté d'examiner
sérieusement chaque demande. Accordés
à la va-vite, beaucoup de ces brevets ne
tiendraient pas devant les tribunaux. Les petites
structures n'ont pas les moyens d'assurer une
veille en propriété intellectuelle
ni de supporter le coût d'un litige (plusieurs
millions de dollars), même lorsqu'elles
sont dans leur droit.
Les acteurs du logiciel libre se trouvent contraints
à des dépôts de brevets défensifs,
qui détournent leur capacité d'investissement
vers des procédures contre-productives.
Dans leur grande majorité, les éditeurs
de logiciel pâtissent de cette tension juridique
qui entrave l'innovation réelle et conforte
quelques monopoles au détriment du secteur.
Les brevets logiciels compromettraient la
compétitivité européenne
L'alignement transatlantique sur ce modèle
de propriété intellectuelle serait
un nivellement par le bas, préjudiciable
à l'industrie mondiale du logiciel. Face
à ses concurrents américains et
asiatiques, l'Europe serait la première
à en pâtir, pour trois raisons.
1 - S'il restait confiné aux Etats-Unis,
ce modèle de propriété intellectuelle
inadapté serait à long terme un
handicap concurrentiel pour ce pays, donc un avantage
pour l'Europe. Renoncer à cet avantage
est un contresens immédiat.
2 - On estime qu'en dépit des dispositions
légales en vigueur l'Office Européen
des Brevets (OEB) a accordé environ 30.000
brevets logiciels. 80% de ceux-ci ont fort logiquement
été soumis par des sociétés
hors d'Europe, familières avec le système
et directement intéressées à
être en pole position le jour où
l'Europe baisserait la garde. En renforçant
les possibilités de contrôle réglementaire
de son industrie du logiciel par des puissances
étrangères, l'Europe est en passe
d'hypothéquer durablement son indépendance
technologique.
3 - Les acteurs du libre expliquent qu'octroyer
à des intérêts privés
des monopoles sur des technologies telles que
les algorithmes ou les protocoles serait une régression
majeure qui porterait un coup terrible aux standards
ouverts et aux logiciels libres. Ce faisant, l'Europe
se priverait des outils les plus prometteurs pour
redynamiser en profondeur son industrie informatique.
Pendant ce temps la Chine, moins crispée
sur les questions de propriété intellectuelle,
entreprend de grands travaux autour du logiciel
libre qui pourront lui assurer un développement
économique rapide.
Le 24 septembre dernier le Parlement européen
a voté un texte qui posait des limites
explicites à la brevetabilité des
inventions mises en oeuvre par ordinateur, en
excluant algorithmes, formats de fichiers et protocoles
et ménageant une place au logiciel libre.
Si elle était retenue, la contre-proposition
lapidaire du Conseil compromettrait l'avenir du
logiciel en Europe. Comme d'autres gouvernements
d'Europe, la France a récemment annoncé
le recours systématique aux logiciels libres
pour réaliser de substantielles économies
dans les administrations. En 2002 déjà,
Jacques Chirac s'exprimait contre les brevets
logiciels, pointant le risque de "vassalisation
de l'Europe". Par la voix de groupements
industriels internationaux tels que le CEA-PME,
ObjectWeb ou MMBase et avec le soutien d'acteurs
américains tels que la fondation Apache,
des milliers de sociétés du secteur
du logiciel demandent aujourd'hui aux gouvernements
d'Europe d'adopter une position cohérente
en demandant que soient réaffirmées
des limites strictes au champ du brevetable.
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