Porter une solution libre vers un environnement propriétaire,
une décision favorisant la visibilité du libre et adoptée par
les solutions de référence telles Apache, Samba, Firefox ou
encore Open Office. Récemment, l'environnement de bureau KDE
(lire l'article
du 11/02/2005) s'est joint à la liste des applications initialement développées sous Linux mais qui peuvent tourner sous Windows.
Seulement si cette transcription permet indéniablement d'adresser
un panel plus large d'utilisateurs, elle suscite des divisions
au sein des communautés libres et Open Source. Ainsi lors
de l'annonce du portage de KDE vers Windows, un des développeurs
du projet, Aaron Seigo, soulignait sur son blog : "Si les
applications que les gens veulent sont disponibles sur Windows,
ils seront tentés de rester sur Windows". Et sur ces systèmes
propriétaires, l'utilisateur ne peut avoir accès qu'au code
source du logiciel et non à l'ensemble application-librairies.
"Une
application libre dépendante d'un environnement propriétaire,
c'est être libre dans un environnement carcéral. L'origine
du mouvement des logiciels libres et du projet GNU vise à
introduire le libre partout. Un portage dans un environnement
propriétaire est en quelque sorte une régression car la base
utilisée n'est pas libre", résume Loïc Dachary, trésorier
de l'association Free Software Foundation France. Pourtant,
le succès du navigateur Firefox et de la suite Mozilla, utilisés
par plus de 10% des internautes français selon les statistiques
Xiti, promet un bel avenir aux logiciels libres portés.
"Le portage vers un environnement non libre permet de sensibiliser
le public aux solutions libres, à l'efficacité de ces logiciels
et à sa philosophie. Mais c'est également un frein à la migration
vers Linux car l'utilisateur dispose déjà de logiciels performants
sur des environnements non libres.", explique Hilare Fernandes,
président de l'Ofset, une association de promotion du logiciel
libre éducatif. Il existe toutefois plusieurs limites à ces
déploiements. La plus fréquente provient de la baisse des
performances consécutives à la recompilation d'une application
à l'origine native sous Linux.
Double
licence ou limitations servent à sensibiliser les
utilisateurs à l'intérêt du libre |
Et si le portage devient synonyme de performances médiocres,
la démocratisation des logiciels libres se trouve mise à mal.
L'autre limite à ce type de portage, c'est la restitution
de solutions libres adaptées à un environnement spécifique.
"Dans le logiciel d'imagerie Gimp par exemple, l'utilisateur
dispose de fonctionnalités regroupées dans plusieurs petites
fenêtres. Cette organisation fonctionne très bien sur Linux
grâce à sa bibliothèque X-Windows gérant efficacement les
multifenêtres. Par contre sous Windows, la solution se complique
parfois pour les utilisateurs", ajoute Hilare Fernandes.
Des solutions alternatives se mettent alors en place. Pour
Bruno Coudoin, auteur du logiciel éducatif libre Gcompris,
la disponibilité de son logiciel sur environnement Windows
s'est accompagné de limitations propres. "Seules quelques
parties du logiciels sont disponibles gratuitement. L'utilisateur
peut tout de même télécharger gratuitement l'ensemble mais
il doit alors verser quelque chose à son auteur, une façon
de rémunérer le développement libre même pour ceux qui conservent
un environnement propriétaire", déclare Hilare Fernandes.
La double licence fait aussi des émules. C'est ainsi que
MySQL et Qt, les librairies de l'environnement de bureau KDE,
sont disponibles gratuitement et librement tandis que l'intégration
avec d'autres logiciels propriétaires n'est possible qu'après
paiement des droits de la licence payante. Une manière de
favoriser l'adoption de licences plus permissives de la part
des grands éditeurs sans se couper d'autres solutions.
Familiariser
pour mieux migrer |
"Il y a beaucoup d'utilisateurs de Linux qui y sont venus par
le biais de la découverte de logiciels libres sous environnement
Windows. En ouvrant ces logiciels au plus grand nombre, ces
nouveaux usagers se familiarisent avec les applications libres
et auront ainsi moins de réticences à migrer vers des environnements
totalement libres", affirme Hilare Fernandes. Mais impossible
de dire sur le long terme, par exemple, quelle proportion
d'internautes conquis par Firefox migreront à terme vers le
système Linux.
La portabilité réussit-elle son pari en terme de sensibilisation
? Rien n'est certain, mais selon la FSF, cette ouverture ne
doit pas se faire sans une certaine rigueur. "Dans le cas
de la liberté, il n'y a pas de demi-mesure. Certaines licences
interdisent ainsi qu'une uvre dérivée ne deviennent exclusivement
dépendante d'un environnement propriétaire. Ce qu'il faut
c'est que les applications fonctionnent sous les deux systèmes,
propriétaires et libres", insiste Loïc Dachary. Ce mélange
entre deux mondes différents pourrait être évincée par une
autre notion, celle d'interopérabilité.
Plutôt que de porter du libre vers du propriétaire, l'enjeu
de l'interopérabilité vise à faire communiquer entre elles
deux applications différentes fonctionnant éventuellement
sur des environnements distincts. Cette solution, mise en
valeur par Microsoft (lire l'article
du 10/02/2005), réduit partiellement la nécessité de portabilité
des applications en tablant sur un langage commun plutôt
que des applications communes. Difficile donc de parier sur
l'avenir des solutions libres sur des environnements propriétaires.
"Je me demande ce que le logiciel libre sera dans cinq ans
? Est ce que beaucoup de monde utilisera Windows comme couche
de base avec une multitude de logiciels libres par dessus
ou au contraire du Linux avec des applications propriétaires
ou encore un mélange des deux ?", envisage Loïc Dachary. Grands
éditeurs ou développeurs de logiciels libres cherchent encore
la réponse et se rapprochent de plus en plus.
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