Du fait de leur modèle d'affaire, les "éditeurs" (entendons par là les sociétés à but commercial) de logiciels
libres doivent conjuguer leur volonté propre avec un électron
libre : la communauté d'utilisateurs et de développeurs. Ses
développements éparpillés géographiquement, l'éditeur de logiciel
libre doit donc composer avec une équipe qui ne lui appartient
pas mais réussir à obtenir d'elle le résultat souhaité.
"Il ne s'agit pas d'une communauté mais des communautés.
Il faut distinguer les communautés de lobbying comme l'April
ou la FSF, des associations libres comme Parinux ou encore
des communautés de développement qui eux s'articulent autour
de produits donnés. Les deux premières communautés génèrent
de compétences qui peuvent intéresser les éditeurs mais une
désaffection de leur part n'a pas véritablement d'effet ricochet",
déclare Laurent Pierre, directeur technique de la société
de services en logiciels libres Linagora.
Si
les partisans du logiciel libre sont nombreux, les développeurs actifs
seuls ont un poids important auprès des éditeurs. "C'est la
partie immergée de l'iceberg, celle qui fait qu'une société
de 65 employés peut se permettre d'adresser des besoins aussi
différents qu'un système d'exploitation pour le bureau, un
système d'infrastructure ou encore un système de calcul intensif
en grappe", explique Gaël Duval, co-fondateur du distributeur
Linux Mandrakesoft.
A cette contribution directe s'ajoute également d'autres
atouts. Ainsi, les communautés peuvent également offrir leurs
services par exemple en testant un produit ou une fonctionnalité.
Ils représentent également une source externe d'idées d'améliorations
du produit. "Il ne faut pas se le cacher, la communauté de
développeurs est aussi un des poumons du recrutement pour
un éditeur du libre. C'est aussi une forme de reconnaissance
pour les développeurs bénévoles", indique Sacha Labourey,
directeur général Europe chez JBoss, éditeur du serveur d'application
Open Source.
Atteindre
une masse critique pour orienter la communauté |
Pourtant, cette tierce partie que symbolise la communauté
comporte plusieurs risques. Tout d'abord, le risque de désaffection
du produit de la part des utilisateurs et des développeurs.
Red Hat avait ainsi fait les frais d'un changement de modèle
tarifaire survenu lors de l'été 2003. "Beaucoup de gens
au sein des communautés libres avaient l'impression que Red
Hat se tournait vers du propriétaire. La distribution Fedora,
de nouveau projet libre est une réaction à ce mouvement qui
a permis à Red Hat de retomber sur ses pieds", ajoute Laurent
Pierre.
Autre inconvénient de ce type de fonctionnement, le décalage
entre les besoins d'une entreprise et les développements réalisés
par la communauté. Sur ce point particulier, chaque éditeur
emploie la même méthode qui consiste à atteindre une masse
critique de développeurs pour peser sur les décisions des
communautés de développements. Cette masse critique s'obtient
alors par deux moyens, le nombre de développeurs disponibles
en interne et l'embauche des figures de proue du monde du
libre.
"Généralement, les besoins des clients collent plutôt bien aux
développements, ce qui colle moins bien ce sont les délais proposés.
L'éditeur joue alors un rôle de médiateur en fournissant les
ressources additionnelles sur les projets clés", note Franz
Meyer, directeur Europe du Sud, Moyen Orient et Afrique pour
Red Hat. Pour séduire les indépendants, les solutions libres
misent sur diverses solutions complémentaires et notamment l'ouverture.
La
contribution des éditeurs au libre renforçe
leur relation avec les communautés |
En effet, plus un éditeur publie ses codes, communique et
rend transparent sa chaîne de fabrication et ses intentions,
plus il s'assure de la pérennité de sa communauté. Deuxième
solution revendiquée par l'ensemble des éditeurs du libre,
la contribution de leurs équipes à d'autres projets communautaires
que ceux de l'entreprise. L'échange devient la clé du succès
dans le cas des distributions Linux. Si Linus Torvalds et
son équipe développe une partie majeure du noyau Linux, les
éditeurs contribuent par leurs retours à faire évoluer son
produit.
"Je pense que le plus important pour un éditeur, c'est d'être
cohérent avec sa communauté", affirme Laurent Pierre de Linagora.
Et pour les éditeurs, le jeu en vaut assurément la chandelle.
"Le fait de mettre le code à nu, d'être challengé, est une manière
très efficace de l'améliorer [le code] et de le faire progresser.
La science, les mathématiques et les arts progressent comme
cela", soutient le représentant de Mandrakesoft. Une opinion
partagée par Red Hat et JBoss.
Reste à expliquer ce modèle parfois mal compris par l'ensemble
de la chaîne, des clients aux partenaires. "Ce modèle est
difficilement palpable pour les clients. Ils ont du mal à
évaluer la qualité des produits proposé. Et aujourd'hui le
modèle Open Source n'est pas adapté à des logiciels verticaux.
Pour qu'il y ait une communauté, il faut un produit générique
et tranversal. Développer en Open Source sans communauté multicolore
n'a absolument aucun intérêt", ajoute Franz Meyer.
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