TRIBUNE 
PAR CHRISTOPHE DESHAYES
DADvSI : un droit à la hauteur ?
Le débat houleux qui a secoué la France autour de la révision du droit d'auteur pour l'adapter à l'Internet a été aussi piteux qu'il semblait, au départ, ambitieux. C'est en tout cas l'avis développé par le Président de Documental.   (30/03/2006)
 
Président, Documental - Observatoire des Technologies de l'Information.
 
   Le site
Documental.com

Créé par Beaumarchais en 1791, le droit d'auteur est, en fait, un cousin assez éloigné du copyright anglosaxon. De ce point de vue, il s'agit d'une vision française du monde "littéraire et artistique" dont on sait qu'en France, il fait exception.

Il ne faudrait donc pas, sous couvert d'une indispensable modernisation, glisser vers un droit de copie à l'anglo-saxonne, du moins sans en débattre.

Une gouvernance calamiteuse pour un projet aux enjeux sociétaux

On a choisi la procédure accélérée pour présenter une loi, transposition d'une directive européenne de 2001, qui aurait dû intervenir au plus tard le… 22 décembre 2002. Un tel délai, suivi d'une telle précipitation, seraient-ils dus à l'élaboration laborieuse d'un compromis représentant l'intérêt général ?

Pas du tout, la consultation préalable a favorisé de grands groupes internationaux de l'industrie du contenu, des organismes représentant certains auteurs et des éditeurs de logiciels… commerciaux. Bref, tout sauf une consultation à la hauteur de l'enjeu, tout sauf un compromis acceptable par tous !

C'est ainsi un gouvernement français dans une certaine "illégalité", qui soumet par une procédure contestable, devant une assemblée nationale clairsemée, un projet de loi finalement peu débattu qui se retrouve contrarié par deux amendements inattendus, dont celui ouvrant la voie à ce que l'on appelle la licence globale.

Pour convaincre les adeptes du téléchargement et autres contrefacteurs de la gravité de leurs actes, une démarche plus exemplaire n'aurait-elle pas été souhaitable ?

Pas seulement une société de consommation de produits numériques
Personne ne conteste la légitimité de rétribuer justement les auteurs. Mais le glissement avéré d'un droit d'auteur légitime vers un droit d'éditeur ou de producteur occulte le fond du sujet pour se concentrer sur les seuls arguments de boutiquiers.

Espérons que la société de l'information qui constitue l'objectif stratégique de l'Union Européenne (objectif de Lisbonne) ne soit pas seulement une société de consommation de produits numériques.

Faire émerger une société de la co-création, de la création culturelle notamment par interaction avec la culture existante (sampling, playlists, logiciels libres, contenus communs…) serait plus ambitieux et davantage créateur de valeur(s), y compris économique. Une telle société de la coopération (1) se dessine aux USA… avec la DADvSI, nous lui tournons le dos.

Une vision malthusienne de la société de l'information !
Vouloir brider l'usage des produits culturels par la technologie (DRM -Digital Rights Management) est conteproductif pour la collectivité, économiquement et socialement ! L'industrie de la musique adopte depuis toujours une position malthusienne qui naturellement se retourne contre elle-même, les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Faut-il laisser la société de l'information sous l'influence exclusive d'une telle vision étriquée ? Faut-il que la puissance publique vienne au secours d'une industrie qui ne sait pas ou ne veut pas faire évoluer son modèle économique ?

Réduits à l'état passif de simples consommateurs de produits numériques, nous serons probablement gavés de produits de divertissement formatés.

La culture n'est pas un bien comme un autre. En principe, les artistes défendent cette exception française contre les grandes compagnies. Voir les majors du disque affirmer qu'elles se battent contre la mort programmée de la culture démontre le niveau de propagande dans lequel nous sommes tombés.

Favoriser le développement des droits voisins : la voie du compromis ?
Pour trouver un compromis acceptable pour tous, on doit certes réaffirmer la juste rétribution des auteurs (pas seulement celle de leurs puissants représentants) mais aussi s'inquiéter de développer des droits voisins. Prendre trois bouts de musiques, les mixer de manière originale et y ajouter des sons, des voix, qu'on le veuille ou non, c'est créer de la culture, c'est créer des droits voisins ! Les auteurs initiaux dont les œuvres servent de base à cette nouvelle création doivent être justement rétribués pour leur contribution, même involontaire.

Cette création permise au plus grand nombre doit être possible et même favorisée. C'est la vraie innovation de la société de l'information. Les fameux DRM pourraient alors, non pas brider l'usage des contenus comme aujourd'hui, mais tracer les emprunts pour répartir les droits de copie, en fonction de règles prédéfinies entre auteurs initiaux et auteurs successifs. La culture jouerait son vrai rôle d'énergie vitale qui rapproche les gens… au lieu de les séparer.

Pas seulement la musique !
En bref, résultat du débat national : on se concentre uniquement sur le problème de la musique sur Internet. Mais une loi sur les droits d'auteurs touche par définition toutes les œuvres de l'esprit, donc les livres, les articles de presse, la peinture, la sculpture, la musique, etc.

Or cette loi est débattue en ayant écouté (et de quelle manière) les seuls représentants des oeuvres musicales ! Où sont les représentants des nouveaux usages culturels ?

L'utilisation de l'informatique (DRM) n'est pas qu'une affaire de spécialiste !
Une fois encore l'informatique va faire les frais du ratage politique et sociétal. Les DRM (MTP) ne seraient pas au point, il faut que les spécialistes revoient leur copie, un comble ! Le nouvel article, en exigeant l'interopérabilité, sauve la face et laisse entendre que l'informatique n'était peut-être pas au point lors du premier débat.

Combien de fois faudra-t-il répéter que l'informatique fait ce qu'on lui demande de faire. On peut par exemple lui demander de suivre de manière " indélébile " toute œuvre originale afin de prouver qu'elle n'a pas été falsifiée ou copiée.

On peut aussi vouloir que l'informatique joue un rôle plus actif et contrôle les usages du client. C'est évidemment cette deuxième piste qui a été choisie par l'industrie du disque.

Comme naturellement elle pose des problèmes d'interopérabilité insurmontables (et qui le resteront tant que l'idée directrice reste la restriction de l'usage du client), il n'y a plus qu'à déclarer que la technologie n'est pas au point pour reculer sans avoir l'air ridicule. Une fois de plus l'informatique a bon dos !

Tout ce que la loi va encore rater…
Après la polémique (puisque ce n'était pas un débat), la loi va réviser (après adoption au sénat) de manière cosmétique un "droit" vieux de deux siècles qui craque de partout !

Ainsi est-il clair qu'on ne parlera pas des nouveaux usages, qu'on ne fera toujours pas de distinction entre les œuvres de représentation (sculpture, peinture…) et les œuvres de diffusion (musique, articles de presse…).

Or, cela signifie qu'il faudra toujours passer par une acceptation préalable (généralement aux mains des producteurs) pour réutiliser une œuvre, y compris pour en créer une nouvelle à partir de celle-là. Cela signifie qu'on s'arc-boute sur le principe de copie (valable du temps de Beaumarchais) mais qui n'est sûrement plus, à leur où les usages nous conduisent à multiplier les supports, un principe satisfaisant.

On parlait de revoir la copie. Il fallait l'entendre au sens propre comme au figuré. Encore raté. Il faudra pourtant bien y venir. Peut-être dans vingt ans ? Dommage que la France qui fut initiatrice de ce droit d'auteur n'ait plus les politiques ou la société civile à la hauteur d'une telle ambition. Cette loi règlera peut-être (mais ce n'est pas certain) le problème de la copie musicale sur Internet, mais elle n'aborde pas le droit d'auteur dans la société de l'information.

(1) The Power Of Us - BusinessWeek 20 juin 2005.


Christophe Deshayes
 
 

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