INTERVIEW 
 
Philippe Nieuwbourg
Fondateur
myDecisionnel.com
Philippe Nieuwbourg
"Le décisionnel est le directeur général du système d'informations"
Arbitrer un sujet comme celui des systèmes d'informations décisionnels peut s'avérer un exercice difficile. Mais qui mieux que Philippe Nieuwbourg pouvait intervenir sur ce thème complexe. Car l'ancien rédacteur en chef des magazines orientés progiciels du CXP, devenu dirigeant de sa propre société d'édition professionnelle VirComOnLine, est aussi un conférencier de renom. Parmi les sites de communauté qu'il anime, myDecisionnel se place directement au centre de la question. Ni éditeur, ni SSII mais tout de même spécialiste, Philippe Nieuwbourg démocratise le sujet.
07 juin 2001
 
JDNet Solutions : Commençons par débroussailler le marché du côté des offres. Qui sont les principaux acteurs et comment distinguer leurs solutions ?
Philippe Nieuwbourg : La première manière de segmenter est technique, selon les différents éléments qui interviennent dans la construction d'un système décisionnel. Car celui-ci ne peut pas s'acheter comme un ERP. Il faut donc le construire en fonction de quatre domaines principaux : l'ETL, l'entrepôt de données, les bases multi-dimensionnelles et les outils de restitution. Ici, l'entrepôt de données se distingue car beaucoup d'entreprises n'ont pas de bases de données multi-dimensionnelles, mais relationnelles. Les fournisseurs sont en partie les mêmes acteurs, mais ce sont parfois aussi des acteurs différents.

Le premier élément est donc l'ETL, ou l'EAI de données mais peu importe le mot. En fait, pour être plus précis, les outils d'extraction représentent aussi un sous-ensemble de l'EAI. L'idée est surtout d'utiliser un logiciel pour aller pêcher des informations et nourrir l'entrepôt de données. Parmi les principaux outils d'alimentation, nous pouvons citer Carlton d'Oracle, Prism d'Ascential (ex-Informix), Règle du Jeu de Sopra, et un produit appelé Leonard's Logic.

Pourquoi pas Informatica, qui était historiquement positionné sur ce segment ? Et quid d'Acta ?
En ce qui concerne Informatica, je ne les classerais plus dans cette catégorie car ils l'ont abandonnée. Quant à Acta, il s'agit d'un oubli de ma part. Mais il faut dire que presque tous ne font pas du décisionnel pur mais de l'EAI. De plus en plus, le décisionnel est l'une des applications qui composent le système d'information. L'alimentation est simplement l'un des modules et ne doit pas être vue comme une solution à part.

Voyons maintenant la deuxième partie : les bases de données relationnelles et multi-dimensionnelles. Comment se comporte le marché ?
Dossier: business
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Le datawarehousing regroupe beaucoup d'acteurs, qui proposent parfois de concert des solutions relationnelles et multi-dimensionnelles. Tous les grands du marché ont racheté des entrepôts de données multi-dimensionnels. Parmi ceux-ci figurent Oracle Express, Informix et Microsoft. La dernière version de l'outil Microsoft, SQL Server 2000, intègre des fonctions multi-dimensionnelles depuis près d'un an. Mais Microsoft souffre toujours à tort d'une mauvaise image. Quant à Sybase, il reste à part avec une base de données uniquement relationnelle. Mais sa part de marché n'est pas négligeable sur la partie décisionnelle.

Ensuite, certains acteurs positionnés en direct sur le marché de la business intelligence proposent leurs propres entrepôts multi-dimensionnels, comme Hyperion avec Essbase et Cognos avec Powerplay. Du côté de SAS Institute, le catalogue comprend à la fois une base de données relationnelle et une autre multi-dimensionnelle.

Pourquoi choisir une base multi-dimensionnelle plutôt que relationnelle, et vice-versa ?
L'entrepôt de données multi-dimensionnel se prête bien à l'analyse de données complexes. Mais si la problématique de l'entreprise se tourne vers la diffusion de données en masse, celui-ci ne va plus convenir. Car le cube comporterait de nombreux croisements vides qui seraient générés en pure perte. Dans un système décisionnel complet, il faut à la fois un entrepôt relationnel pour stocker les données au fil de l'eau et alimenter la base en production, et une base de données multi-dimensionnelle plus épisodique, également alimentée à partir de l'entrepôt relationnel qui calculera les différentes combinaisons.

Venons-en enfin à la dernière partie : les outils de restitution... ?
Dans ce domaine, on trouve de tout et de n'importe quoi. En premier, nous pouvons citer les navigateurs eux-même qui constituent le premier moyen d'accès. Puis, nous retrouvons le leader Business Objects, suivi de Cognos, Brio, Hummingbird et Actuate. De son côté, Crystal Decisions (ex-Seagate Software) se situe à part: souvent personne n'a conscience d'avoir acheté Crystal Reports puisqu'il est fourni dans des solutions tierces aux applications diverses. Les utilisateurs sortent des états mais n'ont en fait jamais acheté le produit. Il s'agit de la même démarche, en quelque sorte, que pour un plugin Acrobat (fichiers .PDF).

Et ensuite, nous pouvons opérer une sous-segmentation. Du côté de l'analyse, certains éditeurs proposent du data mining. C'est le cas, par exemple, de SAS Institute, d'IBM avec Intelligent Miner, et de la solution Alice proposée par iSoft. Dans ce domaine, nous pouvons également citer KXen, qui est une jeune société française dont le nouvel algorithme permet de meilleurs résultats en un temps plus court.

Existe-t-il d'autres grandes tendances que suivent certains acteurs, comme les applications analytiques de Business Objects ?
Nous pouvons aussi parler des applications décisionnelles, où les entreprises achètent des fonctions décisionnelles sans se doter d'un système complet. Sur ce créneau, nous retrouvons Informatica, Microstrategy, Hyperion et Cognos. La grande tendance ici consiste à "faire du décisionnel sans le savoir". Au départ, les plates-formes décisionnelles étaient conçues comme un sous-ensemble du système d'information, sans imbrication avec le reste du système. Et aujourd'hui, nous constatons que les applications décisionnelles doivent être parfois incluses dans d'autres types de progiciels. Par exemple, c'est le cas de Siebel qui a choisi Actuate comme module de reporting.

Dans le cas des applications analytiques, il s'agit de vendre des applications en plus des outils. Je dirais que ce n'est pas tout à fait le cas de Business Objects qui ne propose pas vraiment d'outil applicatif. Mais ils ont lancé une filiale, Ithena, qui s'est spécialisée dans les outils packagés d'analyse marketing. Ceci dit, une grande part de leur chiffre d'affaires provient encore des outils de restitution.

Avec la baisse du prix des licences, les systèmes décisionnels complets vont-ils être bientôt accessibles par les PME ?
Aujourd'hui, il y a pas mal d'éléments qui vont dans ce sens. Il y a 5 ans, un projet coûtait au minimum 1 million de francs répartis en trois tiers : matériel, logiciels et services. A présent, 300 000 ou 400 000 francs suffisent pour développer certains projets. Plusieurs raisons expliquent cela. D'une part, la baisse du coût des machines, puis celle du prix des outils décisionnels grâce à l'arrivée de Microsoft. Dans le domaine des services, la baisse des coûts est un peu plus faible, mais l'on constate aussi une réduction du nombre de journées. Et les composants peuvent aussi, parfois, être réutilisés par d'autres applications.

Ceci dit, il est possible de construire un système décisionnel en descendant encore plus bas au niveau des prix. Une entreprise qui pratique l'analyse des ventes fait aussi du décisionnel. J'ai récemment entretenu une conversation avec des étudiants d'un DESS Décisionnel, et ils m'ont déclaré avoir développé des applications pour quelques dizaines de kf au cours de stages en entreprises.

Entre PME et grande entreprise, les besoins sont-ils complètement différents ?
Les PME ont davantage besoin d'un retour sur investissement précis et calculé. Et elles s'intéressent à des applications concrètes, comme le fait de savoir quelle offre promotionnelle lancer pour vendre plus. En face, les grandes entreprises sont plus tournées vers le reporting de gestion, les analyses stratégiques, etc.

Comment calculer le retour sur investissement d'une solution décisionnelle ?
Dans ce domaine, il convient d'effectuer la distinction entre deux types d'applications, celles qui concernent le marketing et les ventes, et d'une autre côté le reporting de gestion. Sur la première partie, nous sommes aujourd'hui capable de chiffrer le ROI avec une rentabilité attendue parfois au bout d'un ou deux mois seulement. Mais il n'y a pas de règle de ce point de vue et tout dépend de la façon dont l'application est construite. Ensuite, de l'autre côté, le reporting de gestion améliore la qualité de l'entreprise, et le retour sur investissement est plus difficile à calculer. Mais cela concerne seulement certaines applications de contrôle de gestion. Or, la question la plus fréquemment posée à un système décisionnel se traduit par "quels sont les produits qui se vendent le mieux et pourquoi ?". Et derrière, c'est l'analyse marketing qui permet de rentabiliser l'investissement.

Quelles sont les applications verticales qui reviennent le plus souvent ?
La gestion de la relation client et le contrôle de gestion constituent l'essentiel des applications installées, de l'ordre de 80 à 90 %. Ensuite viennent les ressources humaines pour pratiquer des analyses sur la masse salariale, mais aussi sur des applications de gestion de carrière. Enfin, on retrouve aussi des outils décisionnels dans le domaine de la gestion de production, pour optimiser la productivité de l'entreprise.

Quelles sont les erreurs à ne pas commettre lors du choix d'une plate-forme décisionnelle ?
Il faut bien sûr éviter de se lancer dans le choix d'un outil sans connaître son cadre exhaustif. Le décisionnel est un domaine où il n'est pas possible d'affiner au fur et à mesure, et il faut donc avoir tout défini à l'avance. Certaines personnes abordent le choix des outils de façon désordonnée. Il ne faut pas se jeter sur la partie consacrée à la restitution, avec de jolis tableaux de bord séduisants, avant d'avoir mis en place les outils d'analyse et le datawarehouse.

Enfin, un autre point important concerne l'intégration à laquelle il faut faire très attention. Certaines sociétés de services sont positionnées là-dessus, mais il faut savoir qu'un bon outil mis en oeuvre par une mauvaise SSII devient une mauvaise application. Alors que si l'inverse arrive, il sera toujours possible de s'en sortir. Le choix de l'intégrateur est donc très important.

Pouvez-vous nous citer des SSII de référence, que vous considérez comme viables ?
Cinq d'entre elles sont très connues : Valoris qui ne fait plus uniquement du décisionnel, Business & Decision, EuropStat qui s'appelle maintenant Umanis, Osis rachetée par Bull, et enfin Tmis Consultants, une filiale de Altran. Ces cinq-là ont commencé depuis plus de 8 ans et disposent à présent de la plus grande expérience.

Ensuite, il est toujours possible de faire appel à un cabinet de conseil si l'on a beaucoup d'argent à dépenser. Mais ce n'est valable que pour les grands comptes qui n'ont aucun spécialiste du sujet en interne et ne veulent pas prendre le risque de définir eux-mêmes les fonctions. Et lorsque l'on va voir Valoris ou Business & Decision, ces sociétés ne travaillent pas en régie et peuvent jouer le rôle de cabinet de conseil. Aller voir un "big five" me paraît clairement surdimensionné.

Selon vous, le système décisionnel doit-il plutôt être vu comme horizontal ou vertical ?
C'est une discussion de consultant. Il est vertical s'il est spécialisé dans la finance. Mais il est transversal car il va pêcher des informations dans plusieurs bases de données et applications concernant des activités différentes. Le décisionnel est un peu le directeur général du système d'information, qui consolide les sources pour aboutir à la connaissance globale de l'entreprise. Il est à la fois vertical s'il s'intéresse à un applicatif métier, mais sinon sa vocation est beaucoup plus large.

Qui doit décider du choix de la plate-forme : la DSI ou la direction fonctionnelle concernée ?
Aujourd'hui, il n'est pas possible de construire un système décisionnel sans DSI. Ce serait une erreur car il existe un trop grand nombre d'aspects informatiques à prendre en compte. Pour consolider les informations, il faut d'abord les récupérer en sortie de progiciels de gestion comme SAP, des anciennes applications Cobol, sur le réseau local LAN voire parfois directement sur des PC clients. En fait, il n'y a pas de règles pour savoir qui doit prendre la décision, mais dans tous les cas la DSI doit valider les choix techniques. Le fait de la contourner est déjà arrivé, et quand l'entreprise s'en est rendu compte, il était déjà trop tard et de l'argent avait été dépensé pour rien.
Mais il existe une exception à ce principe, avec les applications de consolidation financière qui répondent à un besoin légal. Dans ce cadre, il n'y a pas besoin de piocher des informations hors de la comptabilité.

Comment analysez-vous le mouvement de certains acteurs du reporting vers les portails d'entreprise ?
Pour moi, le portail n'est qu'une des applications de restitution. Il suffit de prendre un reporting classique et graphique comme Business Objects, puis de diffuser l'information dans l'entreprise. Et le portail est un intranet sur lequel la personne accède à toutes les informations dont elle a besoin dans l'entreprise. Actuellement, beaucoup d'éditeurs vont dans cette direction, comme SAP qui vient de racheter TopTier. Ces derniers avaient développé une technologie pour harmoniser l'ensemble des ERP utilisés à l'intérieur de l'entreprise. Pour moi, il s'agit d'une vraie évolution, mais qui n'est pas révolutionnaire par rapport au métier du décisionnel. Il s'agit plus d'une déclinaison de ce métier et d'une nouvelle façon d'accéder à l'information. Mais cela ne change pas le contenu de l'information décisionnelle.

Sur le plan technologique, quelles sont donc aujourd'hui les orientations à suivre ?
Dans la partie consacrée au data mining, de nouveaux algorithmes permettent de trouver plus facilement des informations dans un datawarehouse. Ce sont des outils qui vont permettre d'accompagner dans l'utilisation des données stockées. Puis, une autre grande catégorie émergente apparaît avec les applications d'analyse des données clients, qui permettent d'apprendre de leurs comportements d'achats. Ce sont surtout dans ces deux domaines que les développements se font sentir.

Après, nous pouvons aussi parler de l'analyse conceptuelle textuelle, mais à part l'avoir vu en recherche, nous ne connaissons pas d'application concrète pour l'instant. Et je pense qu'il faudra plusieurs années avant que ce domaine ne soit sur le point d'exploser. De plus, je reste un peu sceptique, car une entreprise restera encore longtemps une suite de chiffres. Je vois quelques applications possibles, mais qui restent des gadgets. Il pourrait s'agir d'un grand magasin qui analyse le comportement des clients en fonction de leur tête. Sinon, le véritable usage n'est pas du ressort du décisionnel, mais se situe plutôt dans la gestion des connaissances, où il s'agit d'analyser des informations non structurées pour mieux connaître l'entreprise et non pour prendre des décisions. Certains éditeurs veulent mettre en avant leurs atouts dans ce domaine, mais ce sont deux choses différentes. D'un côté, les progiciels décisionnels manipulent des chiffres, et de l'autre, les applications de travail de l'information rentrent dans le cadre de la gestion des connaissances
 
Propos recueillis par François Morel

PARCOURS
 
 
Avant de fonder récemment sa propre société d'édition de sites de communauté professionnelle dans plusieurs domaines de l'informatique d'entreprise, Philippe Nieuwbourg a été rédacteur en chef pendant 4 ans des magazines du CXP. Fondateur et rédacteur en chef de myDecisionnel.com, il contribue à d'autres supports comme Option Finance ou encore le quotidien économique La Tribune. Il est également auteur des ouvrages "Places de marché sur Internet" avec Hubert d'Hondt du cabinet de conseil Andersen, et "Tout savoir, facilement, sur la relation client".

   
 
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