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Interviews |
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Laurent Veybel
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Manager,
responsable de l'offre Knowledge Management
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Andersen
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"Un
bon projet de KM ne sera jamais que le reflet de la stratégie
et de la culture d'entreprise" |
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Co-auteur avec la SSII Valoris de l'enquête "Le
Knowledge Management en France" parue en septembre
dernier et diffusée lors du salon KM Forum, Andersen
(ex-Arthur Andersen) fait référence sur
le marché de la gestion des connaissances. Tout
autour de la mise en oeuvre des plates-formes, le cabinet
de conseil intervient entre autres sur les aspects liés
au diagnostic des systèmes, à la définition
de stratégies et à la conduite opérationnelle
des projets.
Afin d'engager le débat sur la gestion des connaissances,
nous avons interrogé Laurent Veybel, responsable
de l'offre Knowledge Management (KM) au sein du cabinet
de conseil international. La question du jour: comment
l'entreprise peut-elle mener une politique efficace de
transition vers la gestion des connaissances ?
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Propos recueillis par
François Morel le 07
septembre 2001
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JDNet
Solutions: Quelle définition de la gestion des
connaissances apporte le cabinet Andersen ?
Laurent Veybel:
Globalement pour
recadrer, il s'agit d'un processus continu d'identification,
de collectivisation et de valorisation des savoirs. Ce
dernier point est important pour atteindre les objectifs
opérationnels. La gestion des connaissances est
un dispositif mis en oeuvre pour atteindre les objectifs
en support de l'activité de l'entreprise.
Globalement, ce processus nécessite l'accomplissement
de cinq chantiers. Tout d'abord, il s'agit de la stratégie
(1) qui permet d'identifier le pourquoi de ce que l'on
vise, en donnant du champ au projet. Puis intervient le
contenu (2), en se fixant le but de rendre l'information
granulable. La troisième chantier concerne le processus
de traitement (3), c'est à dire tout l'aspect l'organisationnel
lié aux rôles des différents acteurs
dans cet échange d'informations. Qu'il s'agisse
des responsables de communautés ou des knowledge
managers, chacun doit intervenir sur son périmètre
donné. Après, nous pouvons parler des outils
(4) et de leur mise en oeuvre. Et enfin, il ne faut pas
oublier l'impact culturel (5) sur les aspects liés
aux modes de collaboration.
Qu'est-ce
qu'un bon système de KM ?
Un bon système de knowledge
management ne sera jamais que le reflet de la stratégie,
de l'organisation et de la culture de l'entreprise. Nous
allons mettre en place des systèmes d'informations
qui auront pour buts de répondre à sa stratégie,
de s'adapter à son organisation et d'être
mis en cohérence avec sa culture. Les modes de
collaboration sont très différents d'un
client à l'autre, ce qui peut se traduire d'un
côté par une non-formalisation de la communauté,
et de l'autre par une présence très lourde
des réseaux inter-personnels. Souvent, l'information
circule par des canaux historiques. Et l'on trouve parfois
une culture du reporting, de la consolidation et du référencement
où l'on peut constater une centralisation de l'information.
Votre
position n'est donc pas de vendre du knowledge management
d'un point de vue technique ?
Effectivement, ce n'est pas
notre positionnement. Nous aidons nos clients à
mettre en place des dispositifs qui les aident à
supporter leur activité pour soutenir la stratégie
des communautés. C'est la raison pour laquelle
nous déclinons la gestion des connaissances à
l'égard des différentes activités
de l'entreprise. Nous proposons du KM pour la gestion
des achats, du KM pour la gestion commerciale, et ainsi
de suite.
Nous identifions les objectifs, et nous mettons en place
des systèmes adaptés à chacun des
cinq chantiers. Dans ce cadre, nous mettons en place des
intranets métiers pour supporter l'activité,
avec une déclinaison par champ d'activité.
Notre discours opérationnel s'adresse à
des responsables d'activités qui veulent répondre
à des questions opérationnelles concernant
leur activité. A partir de là, nous utilisons
des outils spécifiques à chaque fois. Et
les solutions que nous construisons sont systématiquement
adaptées à l'organisation et à la
culture qui sont différentes d'une entreprise à
l'autre. Au départ, nous disposons de méthodologies
et de briques standards, que nous déclinons à
chaque fois dans un contexte particulier.
Malgré
cette approche, que pensez-vous de solutions comme Lotus
KStation, Lexiquest ou autres ? Laquelle choisir et selon
quels critères ?
Ce sont des solutions vraiment
formidables. Toutes ont gagné en maturité,
mais elles s'axent autour de deux logiques différentes.
D'un côté, on trouve le tout-intégré
comme ce que propose Lotus, et de l'autre le puzzle dans
lequel nous imbriquons des outils de travail collaboratif
avec des forums, un moteur de recherche, etc. Notre rôle
est de puiser dans toutes ces richesses et de mettre en
place un système qui réponde aux attentes
du client. La plupart du temps, nous notons une logique
itérative car nous ne mettons pas en place ce système
tout d'un bloc. Ce qui permet d'avoir la visibilité
et la cohérence que procurent les interfaces et
les différents modules.
Nous aboutissons à une mise en place progressive
du système dans l'entreprise. Pour celle-ci, cela
représente un cheminement complet au cours duquel
elle fait évoluer deux fois son système
d'information mais aussi sa stratégie, son organisation,
sa culture et toute la structure de son information. Dans
une organisation, quand on parle de granularité
de l'information, l'on retrouve toute la culture du document.
A chaque fois, il faut savoir si par exemple tous les
documents font 10 à 20 pages. Et pour
cela nous prenons 40 documents types.
Dans
le contexte de la multiplication de l'information, comment
bien définir cette granularité ? Les outils
de text mining sont-ils appropriés ?
Le text mining aide à
identifier, référencer et manipuler l'information.
Mais il ne remplace pas un travail de conseil au préalable.
Je suis dubitatif sur le discours selon lequel vous avez
des tas de sources d'informations, et nous mettons en
place une couche qui permet de les identifier en cas de
besoin. Il ne faut pas s'extraire de la démarche
humaine d'identification de la bonne information et du
travail sur la structure de cette information. Si l'entreprise
décide du but en blanc qu'elle va mettre des agents
intelligents sur le net, elle sera peut-être confrontée
à 90 % de bruit sur ce qu'elle cherche. Il
faut donc identifier les bonnes sources d'information
et utiliser les outils adéquats autour de ces sources.
Du reste, si nous assistons à l'explosion des sources
d'information en dehors de l'entreprise, elles se multiplient
également à l'interne avec l'ouverture des
réseaux. Or, les éditeurs préfèrent
voir leurs outils utilisés avec de bonnes sources
d'informations. C'est pourquoi l'entreprise ne peut pas
se dispenser d'une réflexion sur ces dernières
et sur la structure de l'information pour la rendre manipulable.
Il
y a plus d'un an et demi, Gartner Group constatait l'échec
des projets de KM dans presque 90 % des cas. Quelle
en a été la principale raison selon vous
?
Tout d'abord, je ne sais pas
si leurs résultats pour dire cela étaient
parfaitement justifiés. Mais je crois surtout que
le meilleur moyen d'atteindre sa cible est d'en avoir
une. Beaucoup de projets n'ont pas fonctionné car
ils n'avaient pas d'objectif. Certains se sont lancés
avec pour seule logique "le knowledge management
il faut y aller pour améliorer l'information dans
l'entreprise". Mais pour changer les modes de comportement,
les modes d'information et les valoriser, il faut d'abord
pouvoir montrer et identifier ce que l'on veut valoriser.
Dans les projets de gestion des connaissances qui marchent,
nous avons toujours trouvé une logique de gagnant/gagnant.
La question est de savoir comment prouver la rentabilité
de projets dont on ne sait même pas ce qu'ils vont
rapporter.
Existe-t-il
aussi d'autres risques majeurs ? Et comment parer ces
risques ?
Sur la partie liée
à l'information, l'on retrouve la non mobilisation
des opérationnels. En terme d'organisation, il
faut alors identifier des responsables opérationnels
qui vont avoir en charge les communautés, et des
knowledge managers chargés de relancer les experts.
Et nous allons positionner l'ensemble de ces acteurs et
les décideurs autour de ces systèmes.
Sur le chantier des outils, certains projets ont aussi
raté car ils étaient focalisés sur
l'aspect technique qui est nécessaire mais insuffisant.
Nous rencontrons des clients auprès desquels nous
conseillons une première étape où
le niveau technique est limité, qui est le référencement
des informations. Souvent, les entreprises qui veulent
la mise en place des systèmes d'informations sont
déçues, mais il faut ces étapes pour
modifier leur organisation et structurer l'information.
Par exemple, un expert obtient une information grise (semi-confidentielle,
ndlr) captée dans un coup de fil avec un client,
et si la structure n'est pas bonne cette information ne
sera pas collectée. Et si l'organisation n'est
pas identifiée, je ne sais pas à qui la
transmettre. Cela soulève le problème de
la visibilité des différents acteurs qui
ont besoin de l'information. .
Enfin, il existe d'autres problèmes... Je peux
aussi vous donner l'exemple d'une grande entreprise du
domaine de l'armement, chez qui le directeur des achats
voulait mettre en place un aspirateur d'informations magnifique
avec des agents intelligents. Ce système coûte
3 millions de francs par an, mais il n'est pas utilisé.
Ces
échecs liés à la gestion des connaissances
sont-ils encore aussi retentissants ?
Il ne faut pas dresser un
tableau trop noir de la situation. Beaucoup d'entreprises
sont très matures dans le domaine de la gestion
des connaissances, et nous sentons une compréhension
plus grande. Les défauts de jeunesse sont de plus
en plus corrigés. Et les entreprises qui sont impliquées
depuis des années ont mis en place des dispositifs
très performants, qui continuent d'être améliorés.
Souvent, elles ont abouti à des systèmes
extrêmement efficaces mais elles ne veulent pas
vraiment en parler. Lorsque nous nous déplaçons
d'entreprise en entreprise, nous voyons parfois des réalisations
superbes sur le sujet.
Pouvez-vous
alors nous citer un exemple de réussite ?
Je peux vous citer l'étude
du MAKE
(Most admired knowledge enterprises) réalisée
par Teleos sur la gestion des connaissances dans les entreprises
du top 1000. Dans l'ordre, les quatre premiers sont Chrysler,
General Electric, HP et Andersen.
Nous pouvons aussi parler de Valeo pour lesquels nous
travaillons, et de leur projet Kinesys pour la mise en
place d'un système cohérent au niveau technique.
Leur réussite vient du fait qu'ils ont pris le
projet dans le bon sens. Pour réussir, il faut
pouvoir concilier les logiques "top down" et
"bottom up". La première vise à
mettre en cohérence la logique de l'entreprise
dans le système d'informations notamment en terme
de technologies. La seconde laisse le champ libre au manager
en lui donnant la possibilité de décliner
ses projets spécifiques dans un cadre.
Si vous avez 5 plates-formes différentes qui
sont des systèmes de capitalisation de l'information
soit sous Oracle, soit Excel etc., comment les faire communiquer
? L'intérêt est de joindre toutes les briques
du grand lego en fournissant des souches applicatives
de type forums et bases de connaissances prêtes
à l'emploi... Ensuite, l'on positionne les opérationnels
pour leur permettre de puiser dans ce dont ils ont besoin
à l'intérieur des mêmes ressources
supportées par ces souches applicatives. Or, l'ensemble
de ces éléments repose sur deux grands objets :
un dictionnaire de données qui est un univers sémantique,
et un répertoire d'utilisateurs ou annuaire. Tous
les projets de gestion des connaissances pourront fonctionner
sur ces deux éléments.
Cela
veut-il dire que tous les projets de gestion de la connaissance
ont ces deux dénominateurs communs ?
En théorie, c'est la
solution idéale. Tous les éditeurs de plates-formes
se fondent sur des dictionnaires de données et
des annuaires. Et ce sont sur ces deux éléments
qu'ils mettent en place leurs systèmes. Souvent,
ils rencontrent une problématique de reprise de
l'existant et sont parfois confrontés à
des entreprises qui n'ont pas les mêmes systèmes
selon les groupes opérationnels. Il entrent donc
dans la problématique d'un outil, la gestion des
connaissances, qui n'est souvent compris que comme un
système de plus. Valeo pour sa part a dit: à
partir de maintenant nos développements vont s'articuler
autour de ces deux composantes. C'est un choix stratégique
très fin, dans lequel peu d'entreprises se sont
lancées à ce jour. A travers ces deux éléments
clefs, l'on peut commencer à reprendre l'existant.
Dans
une logique d'urbanisation, faut-il intégrer les
systèmes avant de mettre en oeuvre une politique
globale de gestion des connaissances ?
Il faut commencer par être
pragmatique. Cette logique est séduisante sur le
papier, mais les interconnexions de tous les systèmes
d'informations sont des projets à 10 ans,
irréalistes sur l'ensemble des organisations. D'abord,
il faut déterminer les objectifs auxquels on veut
répondre, sachant que le but est de réduire
son "time to market" et de mettre en place la
gestion des connaissances à l'intérieur
de communautés avec une véritable cohérence.
Il s'agit de concilier les logiques "top down"
et "bottom up" dans une logique globale, et
ensuite de construire cela à l'intérieur
de l'entreprise. Car l'idée est d'obtenir des résultats
rapidement, sans devoir attendre cinq ans.
Pour résumer, l'application des modèles
d'urbanisation nécessite une vraie stratégie
des connaissances. Dans une entreprise où c'est
le cas, l'opération va fonctionner. Car la pré-requis
est vraiment là, dans la stratégie de la
connaissance, et l'entreprise doit être engagée
dans ce chemin.
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Diplômé de l'Ecole Européenne
des Affaires (EAP), d'un Master in European Management
de l'université d'Oxford et du Diplom-Kauffman
de Berlin, Laurent Veybel a rejoint le cabinet
Arthur Andersen en 1999 après sept ans d'activité
dans le conseil en organisation et systèmes d'informations.
Sa spécialisation s'oriente vers la mise en place
de dispositifs de travail collaboratif et de partage des
connaissances, pour lesquels il intervient en tant qu'expert
dans l'accompagnement stratégique, organisationnel,
technologique et culturel.
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