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Interviews |
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Christian Huitema
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Architecte
reséaux au sein de la division Windows et...
"ex-président de l'Internet" ;-)
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Microsoft
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"Pour
que l'individu puisse innover, l'Internet doit rester
ouvert et transparent" |
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Creusez un peu dans votre mémoire : nous sommes
en 1995 et la France commence tout juste à s'éveiller
à la "chose" Internet. Une nouveauté
technologique qui a déjà ses grandes figures.
Parmi elles, Christian Huitema, chercheur de l'Inria,
spécialiste des protocoles réseaux, et surtout,
de 1993 à 1995, président de l'Internet
Architecture Board (IAB), sorte de conseil technique de
l'IETF (Internet Engineering Task Force), organisme qui
définit les standards du réseau. Un poste
clef donc qui vaudra à l'intéressé,
également auteur d'un ouvrage intitulé "Et
Dieu créa l'Internet", de se voir régulièrement
qualifié de "président de l'Internet"
- bien malgré lui.
1995, Christian Huitema achève son mandat au sein
de l'IAB. Et presque aussitôt disparaît de
la scène médiatique. Six ans plus tard,
nous le retrouvons, à notre grande surprise, salarié
de... Microsoft. Qu'a-t-il fait durant ces six ans ? Comment
a-t-il vécu l'émergence de la nouvelle économie
? Que fait-il chez l'éditeur de Redmond ? Pourquoi
ce choix ? Nous étions pressés de lui poser
ces questions et nous en avons eu la possibilité
à l'occasion de l'un de ses brefs passages à
Paris. Entretien. |
Propos recueillis par
Cyril Dhenin le 23 novembre
2001
. |
En
1995, vous achevez votre mandat de président de
l'IAB et six ans plus tard, on vous retrouve chez Microsoft ?
Depuis quand y travaillez-vous ?
Christian Huitema:
En fait je n'ai rejoint
Microsoft qu'en février 2000. Auparavant, et ce
depuis janvier 2000, j'ai occupé le poste de directeur
de recherche dans le laboratoire architecture Internet
de Telecordia (ex Bellcore, ndlr). A ce poste,
j'ai mené des travaux sur des sujets qui m'étaient
déjà bien familiers comme la téléphonie
sur IP.
Aujourd'hui,
chez Microsoft, quel est votre champ d'action ?
Je
travaille sur le support des protocoles réseaux
dans Windows. La puissance machine désormais disponible
nous permet d'aller assez loin, par exemple dans la compression
de l'audio et de la vidéo. Vous en voyez déjà
le résultat à travers un produit comme Windows
XP.
La
perspective de voir ses propres travaux sortir des laboratoires
pour venir équiper des millions de PC explique
votre décision de rejoindre Microsoft ?
Cela a joué bien entendu, mais ce n'est pas ma
seule motivation. Tout d'abord, ils m'ont appelé
tous les jours durant deux mois, ce qui a sans doute été
efficace (sourire). Plus sérieusement, j'observe
qu'au début des années 90 Internet représentait
encore une structure ouverte et transparente. Aujourd'hui,
le réseau devient de plus en plus spécialisé
et l'intelligence se déplace de plus en plus du
poste de l'utilisateur vers les serveurs. Or c'est grâce
à sa transparence que le réseau peut permettre
des innovations. Plus l'Internet se spécialise,
plus le potentiel d'innovation se réduit. Plus
on réduit donc les chances de voir émerger
de nouveaux Napster. Tout cela sous le prétexte
de simplifier la vie de cet utilisateur devenu client.
A mes yeux, cela ne va pas dans le bon sens. Ce qui compte,
c'est de laisser l'individu libre d'innover et de créer.
Quel
rapport avec votre venue chez Microsoft ?
En démocratisant l'usage de l'ordinateur individuel,
Microsoft représente par excellence l'entreprise
qui renforce le pouvoir de l'individu. Qui lui donne la
puissance nécessaire pour faire ce qu'il veut des
données et du réseau.
Je
ne suis pas sûr de comprendre. La stratégie
.Net de Microsoft semble pourtant marquer une migration
de l'intelligence du poste client vers le serveur...
Comprenons-nous bien : je ne suis pas en train d'en
appeler à une campagne d'élimination des
serveurs mais à un juste équilibre des choses
! Bien sûr que les serveurs sont nécessaires,
pour valider des identités par exemple. Quand à
la stratégie .Net, elle va précisément
dans le bon sens puisqu'elle apporte la possibilité,
en quelque sorte, de "programmer" l'Internet,
là encore en donnant plus de possibilités
à l'individu. En passant de HTML à XML,
technologie clef de .Net, l'individu ne se contente plus
de collecter des données figées; il devient
enfin maître de leur traitement.
Votre
plaidoirie pour un réseau "ouvert et transparent"
vous semble donc cohérente avec vos responsabilités
chez Microsoft ?
Absolument. Je connais l'image de Microsoft et les procès
d'intention qui lui sont faits. C'est assez disproportionné:
Microsoft ne fait que concevoir des outils ; un traitement
de texte comme Word ne dit pas quoi écrire et ne
pas écrire ! Surtout, je connais les faits :
à savoir que les protocoles réseaux définis
par l'IETF sont mis en oeuvre de façon on ne peut
plus standard dans Windows.
Que
pensez-vous du mouvement du logiciel libre ? Etes vous
sensibles à l'argument de la qualité intrinsèque
des logiciels dits "open source" ?
Je pense que les gens doivent être payés
pour ce qu'ils font et, qu'en outre, concevoir un système
d'exploitation pour l'utilisateur, demande une masse de
travail qui ne peut être assumée seulement
par des bénévoles. D'ailleurs, un logiciel
libre comme Linux reste encore principalement utilisé
sur les serveurs. Et c'est bien logique : faire du
logiciel pour les utilisateurs finaux s'avère beaucoup
plus complexe qu'on ne le croit et demande de s'y consacrer
entièrement. Cela dit, notez que je n'ai rien contre
le bénévolat - j'ai moi-même déjà
donné du code. Chacun fait ce qu'il veut.
J'imagine
que Microsoft n'a pas été la seule entreprise
à vouloir profiter de vos compétences ?
En effet, à une époque je recevais une proposition
tous les deux jours, notamment de la part de dotcoms.
Dans la plupart des cas, j'étais effaré
par le manque d'épaisseur technique des dossiers
et par l'importance des fonds collectés sur des
idées techniquement invraisemblables. Souvent d'ailleurs,
il s'agissait de bâtir d'imposantes infrastructures
serveur pour faciliter la vie de l'utilisateur - en fait,
pour mieux le contrôler.
Aujourd'hui,
quel regard portez-vous sur cette "nouvelle économie"
?
Je pense que tout gaspillage laisse des traces. Ce qui
m'inquiète, c'est que la crise des dotcoms s'est
aussi accompagnée d'une crise des télécommunications.
Ce qui pourrait ralentir le développement du haut
débit.
Dans
les mois à venir, sur quoi allez-vous travailler
?
Les chantiers sont nombreux. Nous travaillons sur le support
des protocoles réseaux par les assistants numériques
personnels - IPv6 joue là un rôle important
-, sur l'Internet sans fil - avec des standards comme
802.11b
-, sur la messagerie instantanée ou encore sur
le peer-to-peer. Ce dernier chantier est très intéressant.
Regardez aujourd'hui, si vous voulez envoyer un gros fichier
(un film par exemple) à un correspondant, vous
avez de bonnes chances de vous faire refouler par votre
prestataire de mail. Idéalement, il faudrait donc
que vous puissiez établir à travers Internet
une liaison point à point avec votre correspondant
pour lui transférer ce fichier. Cela suppose encore
pas mal de travail mais promet, ici encore, de donner
davantage de possibilités à l'utilisateur.
Dernière
question: vous êtes installé à Seattle,
il ne pleut pas trop... ?
Le climat est proche
de celui de la Bretagne, je me débrouille pour
trouver du vin et du fromage donc, pour le moment, tout
cela me va bien !
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Ancien élève de l'Ecole Polytechnique,
Christian Huitema a d'abord travaillé comme ingénieur
au sein de Sema où il développait des logiciels
scientifiques. En 1980, il rejoint le CNET (aujourd'hui
rebaptisé France Telecom R&D), puis en 1986
l'Inria, à Sophia Antipolis. Il y dirige notamment
le projet de recherche RODEO qui débouchera notamment
sur un système de vidéo-conférence
sur IP. Il restera à l'Inria jusqu'en 1996, époque
durant laquelle il occupera donc également les
fonctions de président de l'IAB (Internet Architecture
Board).
1996, changement de cap (géographique du moins).
Christian Huitema part aux Etats-Unis travailler en tant
que directeur de recherche chez Bellcore (qui deviendra
ensuite Telecordia). C'est en février 2000, qu'il
prend ses fonctions actuelles au sein de la division Windows
de Microsoft. |
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