INTERVIEW 
 
Conseil en propriété industrielle
Breese Majerowicz
Pierre Breese
Le projet de directive européenne sur les brevets va vitrifier le droit
Spécialisé dans le conseil en propriété industrielle et le droit des NTIC, Pierre Breese n'est pas partisan d'une directive européenne sur les brevets logiciels. Il lui préfère le statu quo actuel qui repose, selon lui, sur un système cohérent. Il revient par ailleurs sur la réalité des brevets logiciels au quotidien, sur leur possible coexistence avec les logiciels libres et sur la part "d'intox" dans l'affaire SCO.

26 mai 2003
 
          
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Breese Majerowicz
JDNet Solutions. Quelle est aujourd'hui la réalité des brevets logiciels en Europe ?
Pierre Breese.
Les brevets logiciels sont une réalité de tous les jours dans l'industrie, on en voit des applications concrètes à tout moment. Schlumberger a ainsi payé en 2001 plusieurs dizaines de millions de francs les brevets liés au protocole GSM détenus par Bull.

Plus récemment, le procédé de couponning breveté par Catalina, utilisé en caisses dans les supermarchés, a pu être opposé à un contrefacteur. Il s'agit d'un brevet portant sur un algorithme de calcul des coupons à délivrer au client en fonction de ses achats. Ces deux exemples ne sont pas virtuels, il y a eu des transactions, des actions en justice...

30 000 brevets ont d'ores et déjà été déposés à l'Office Européen des Brevets (OEB) ou à l'INPI et les dispositions de la Convention de Munich sont reprises dans le droit français, même s'il est vrai qu'un certain flou est de mise dans ces textes.

En quoi consiste ce flou juridique ?
Dans la définition des inventions brevetables, un premier alinéa précise dans un premier article qu'il doit s'agir d'inventions nouvelles, inventives, c'est-à-dire ne découlant pas de façon évidente de l'état des connaissances actuelles et susceptibles d'applications industrielles. Dans un deuxième alinéa, des exclusions
sont précisées : les jeux, les méthodes intellectuelles et les programmes d'ordinateurs. Un troisième alinéa stipule que ces exceptions ne sont exclues qu'en tant que telles. La lecture de cette définition n'est donc pas simple, puisqu'à un principe général sont attachés une exception puis une exception à l'exception.

"Le système des brevets logiciels fonctionne aujourd'hui de manière cohérente."
La jurisprudence de l'OEB a permis de préciser ce qui est brevetable ou non : elle a introduit le critère de l'exigence d'une contribution de nature technique à l'état des connaissances. Les caractéristiques de l'innovation doivent donc être de nature technique et pas seulement conceptuelle et intellectuelle, ce qui a notamment conduit à la délivrance de brevets IBM ou Vicom malgré un rejet initial par la chambre d'examen.

Le projet de directive européenne sur les brevets logiciels va-t-il clarifier les choses s'il est adopté dans les prochaines semaines ?

Je ne suis pas certain que cette directive joue le rôle de clarification et de lisibilité que l'on attend d'elle. Je pense qu'elle va transférer les difficultés d'interprétation sur la notion de "contribution de nature technique" et qu'elle va vitrifier le droit. Nous avons jusqu'à présent fonctionné avec un article certes "byzantin" mais qui permet au texte de loi de respirer. Une directive européenne est un instrument juridique lourd. La tendance générale est à mon avis plutôt de rester à droit constant, avec un dispositif somme toute cohérent et évolutif.

Vous préférez donc l'actuel statu quo à une directive européenne qui vous paraît trop contraignante ?
Oui. Car le système des brevets logiciels fonctionne aujourd'hui de manière cohérente. Prenez le cas des logiciels embarqués. Les industriels sont habitués aux brevets dans ce secteur. L'innovation, qui se faisait autrefois sur le plan mécanique, est aujourd'hui logicielle. De même dans le traitement des signaux, de l'imagerie, de la compression musicale, MP3 en tête. Thomson tire par exemple de substantielles sources de revenus de ses brevets logiciels, via un système de licences. La frontière entre le matériel et l'immatériel est de plus en plus ténue, les deux sont fortement imbriqués et représentatifs de la même démarche d'innovation.

En revanche, un pan complet de secteurs économiques découvre cette problématique. Je pense notamment au secteur de l'informatique financière et de gestion. Mais là, on est à la limite des "business methods" et certaines grandes SSII ne sont pas habituées à raisonner brevets, du moins sur leurs fonds propres. Face à des concurrents américains plus aguerris, propriétaires de brevets, elles peuvent se retrouver - lors d'appels d'offres - bloquées car empêchées de développer dans certaines voies. D'ailleurs, au niveau du Syntec, les membres sont très partagés, aucun consensus ne se dégage pour le moment.

"Dans l'affaire SCO, il faut à mon avis faire attention au degré 'd'intox'"
Que faites-vous des petites sociétés et du coût induit par les brevets ?
Les petites structures de type start-up innovantes sont très portées sur les brevets. Pour deux raisons principales : leurs bailleurs de fonds voient tout d'abord dans les brevets une façon sure de protéger leurs investissements et d'identifier leurs actifs incorporels. Par ailleurs, c'est le meilleur moyen pour ces sociétés de structurer leurs partenariats avec des entreprises plus fortes. Si on supprime cette protection, les entreprises innovantes vont se faire voler leurs technologies par d'autres qui n'auront pas pris le risque d'attendre qu'elles soient validées par le marché.

Je suis contre l'idée selon laquelle créer une entreprise est facile. Au contraire, lancer une activité nécessite des compétences et des investissements significatifs, tout comme déposer un brevet. Cela permet tout d'abord d'éviter les brevets fantaisistes mais aussi de protéger les petites entreprises contre des partenaires ou concurrents plus importants.

Quid des logiciels libres, qui reposent sur les droits d'auteur ?
Les deux ne sont pas incompatibles, ils peuvent même coexister, ce n'est pas antinomique. Le titulaire d'un brevet de logiciel libre peut très bien décider de ne pas s'en prévaloir. Cela s'est déjà vu dans certains comités de normalisation qui ont demandé à l'inventeur d'un protocole anti-collision de ne pas user de son droit au brevet.

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Mais le logiciel libre - en tant que modèle économique et marketing - n'est pas immunisé par rapport à des tiers qui ont déposé des brevets. En revanche, un brevet n'est jamais opposable à des fins de recherche non commerciale, il est donc faux, comme je l'entends parfois, de dire que les brevets brident le recherche.

Que pensez-vous de l'affaire SCO, cet éditeur qui fait valoir ses droits sur Unix ?
Je vous avoue que je n'ai pas bien regardé quels brevets étaient en cause. Il faut à mon avis faire attention au degré "d'intox" dans cette affaire, le fait que les titulaires d'un brevet ne se manifestent que bien des années plus tard pourra très certainement leur être opposé. Il s'agirait dans ce cas d'un abus de droit de la propriété.

 
Propos recueillis par Fabrice Deblock

PARCOURS
 
 
Physicien et juriste de formation, Pierre Breese dirige un cabinet de conseil en propriété industrielle de 50 personnes, spécialisé dans le droit des NTIC. Enseignant en droit de la propriété Industrielle à l'ENST, à l'Ensam, l'Ecole des Mines et à HEC, il est l'auteur de "Stratégies de Propriété Industrielle", paru chez DUNOD en septembre 2002 et du "Guide Juridique de l'Internet et du Commerce électronique" (1999).


   
 

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