INTERVIEW 
 
Directeur Associé
KLC
Sonia Boittin
En informatique, on s'achemine vers une offre de solutions plutôt que de produits
Le cabinet KLC (Kloetzer Laigle Consultants) intervient depuis douze ans sur des missions d'assistance liées à l'infogérance, la maîtrise d'ouvrage de projets informatiques, et sur la triple problématique organisation-coût-rentabilité. Sonia Boittin opère principalement au sein de ce troisième pôle, et réagit ici à la polémique soulevée par Nicolas Carr dans son article Why IT Doesn't Matter Anymore publié dans la Harvard Business Revue, article dont Pierre Lombard s'est récemment fait l'écho, en le critiquant, dans nos colonnes. L'enjeu central du débat est le suivant : l'informatique permet-elle de créer de la valeur ? Sonia Boittin répond oui, et tord le coup à l'idée d'une fonction informatique aveuglement génératrice de coûts.

16 septembre 2003
 
          
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JDNet Solutions. Avez-vous le sentiment qu'un point de vue comme celui de Nicolas Carr (à savoir : les investissements informatiques sont trop importants ; l'informatique n'est pas une ressource stratégique) se répand dans les entreprises françaises ?
Sonia Boittin. On perçoit un frémissement dans ce sens, oui. Il existe un réel danger de perte de crédit : les directions générales pourraient se convaincre, à tort, que l'informatique n'est pas créatrice de valeur.

Quels facteurs sont responsables de cette situation ?
Pendant des années, l'informatique, par ses capacités d'automatisation, de réduction de la pénibilité de certaines tâches, les gains en effectif qu'elle permet, a remporté des succès qui ont conduit les entreprises à s'engager dans une sorte de course vers la modernité caractérisée par une inflation technique. Tout se passait comme si la justification des besoins informatiques n'était plus nécessaire, d'autant que le discours des DSI était souvent : "il est de toute façon trop complexe de calculer la rentabilité économique, pensez plutôt à ce qu'il va arriver si le projet informatique n'est pas mis en place !".
Or, il est possible d'évaluer la rentabilité d'un investissement informatique, même si nous constatons que le message est extrêmement difficile à faire passer.

La confusion n'est-elle pas entretenue par les fournisseurs informatiques, engagés eux aussi dans une course à l'innovation en décalage avec les besoins ?
Sans doute mais il faudra une incitation au mouvement contraire, et cela peut passer par l'évolution de la demande qui va pousser vers la vente de solutions plutôt que de produits. Par "solutions", j'entends un ensemble d'outils et de services. Prenons l'exemple du modèle des ASP (NDLR: Application Service Providers) : bien qu'il s'agisse d'infogérance, c'est encore un "produit" que l'on vend. Le BPO (NDLR: Business Process Outsourcing ou externalisation des processus métiers), par contre, se rapproche plus d'une "solution" dans ce domaine.

Quelle démarche préconisez-vous pour évaluer le retour sur investissement d'un projet informatique ?
Un premier point clé est le suivant: le DSI ne peut évaluer seul la rentabilité, cela ne doit même pas être de sa responsabilité. Un tel rôle est dévolu à la maîtrise d'ouvrage, sous forme d'une implication très en amont. Il est important de pouvoir répondre à la question du pourquoi de l'investissement, et il est de la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage d'accompagner le projet d'une gestion du changement. Il faut de plus prendre le temps de positionner les bons capteurs, très tôt, afin de remonter de l'information pertinente issue de ces indicateurs dès la mise en place du projet.
Par ailleurs, il faut accepter qu'au départ, il y aura des écarts entre les évaluations relatives à la création de valeur et les résultats : l'important est alors de ne pas abandonner le processus d'évaluation, profondément itératif, et au contraire de la constituer en habitude. Il y a toujours des possibilités d'ajustement tout autant qu'une période d'apprentissage. Ce genre de méthodologie correspond du reste et par exemple à l'approche appelée Balanced Scorecard.

Dans ces conditions, quelle doit être le rôle de la DSI, et plus précisément quelle structure doit-elle adopter ?
Nous croyons beaucoup à la vision de la DSI comme SSII interne. Le fait même que celle-ci soit interne implique que les intérêts fondamentaux sont communs à ceux de la maîtrise d'ouvrage. On couple ainsi les avantages de la SSII (conventions de service, prise de conscience des implications des projets en termes de coût, système d'autorégulation de la demande...) - mais sans ses inconvénients (par exemple la volonté de rendre les clients dépendants) - avec un partenariat dont on est sûr qu'il obéit à des objectifs convergents.

Pouvez-vous donner des exemples de projets pour lesquels peuvent être évaluée une rentabilité jugée au départ impossible à calculer ?
L'exemple de base est la mise en place d'un datawarehouse. On entend souvent dire "on n'y arrivera pas" quand on pose la question de l'évaluation du ROI d'un tel projet. Pourtant, le pourquoi de l'investissement s'identifie à partir de besoins clairs: réduction du temps de collecte et de validation des données, diminution des coûts de comparaison, etc.
Nous fonctionnons en pareil cas avec des enquêtes utilisateurs visant à évaluer le temps passé à exécuter une tâche, en amont du projet puis en aval de celui-ci. Ces évalutations se font sur la durée pour être valides, et se complètent de l'estimation des coûts matériels, logiciels et plus généralement de l'investissement lié au projet lui-même. La comparaison amont-aval permet de dégager d'importants enseignements.


On ne parle pas ici de création de valeur...
Mais un socle comme le datawarehouse
, que l'on retrouve au coeur des systèmes d'achat, de vente, etc., peut-être appréhendé par la question : "avec plus d'informations, que va-t-on pouvoir créer". Et bien, par exemple, on va pouvoir mieux attaquer l'intelligence économique, et se dire : "cela devrait avoir un impact sur les ventes par exemple". Evidemment, si l'on constate une augmentation de parts de marché suite à un projet de ce type, cela peut-être dû à d'autres facteurs que le facteur informatique. L'analyse précise de la variation des ventes, dans mon exemple, l'évaluation d'un "impact pilote" ou, une fois encore, la mise en place de capteurs plus qualitatifs (mais néanmoins suffisamment fermés pour établir des traitements) au niveau des utilisteurs permettent d'affiner les conclusions.

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Vous parliez tout à l'heure de solutions groupant produits et services. On s'achemine vers l'émergence d'un nouveau type "d'intégrateur" ?
Oui, nous croyons beaucoup, je le repête, à la SSII interne (mais il faut la taille critique) ce qui n'empêche pas d'externaliser certaines fonctions. De plus, un gain financier véritable passe par le réengineering de la fonction informatique, ce qui peut difficilement se faire en interne.
Les prestataires devront répondre à des demandes de gestion d'une fonction plutôt qu'à l'intégration de logiciels particuliers : ils feront office de grands intégrateurs en "assemblant", à partir d'une offre qui peut-être éclatée, les différentes composante d'une solution pertinente pour le client.

Un peu l'analogue, dans le mode de fonctionnement, d'une agence de voyage ?
Exactement.

 
Propos recueillis par Jérôme Morlon

PARCOURS
 
 
Sonia Boittin, directeur associée, dirige les activités Benchmarking, Finances et Contrôle de gestion des SI au sein de KLC. Diplômée de l'ESSEC, elle a suivi le cursus MBA à l'Université de Birmingham. Sonia Boittin a commencé sa carrière dans des sociétés de services, et dans des fonctions de contrôle de gestion, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Depuis une dizaine d'années chez KLC, elle s'est spécialisée dans des missions d'organisation et de formation des maîtrises d'ouvrage de grandes entreprises pour mesurer, contrôler, ou réorienter leurs projets et services informatiques.


   
 

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