JDNet
Solutions. Avez-vous le sentiment qu'un point de vue
comme celui de Nicolas Carr (à savoir : les investissements
informatiques sont trop importants ; l'informatique
n'est pas une ressource stratégique) se répand
dans les entreprises françaises ?
Sonia Boittin.
On perçoit un frémissement dans ce sens,
oui. Il existe un réel danger de perte de crédit
: les directions générales pourraient
se convaincre, à tort, que l'informatique n'est
pas créatrice de valeur.
Quels
facteurs sont responsables de cette situation ?
Pendant des années, l'informatique,
par ses capacités d'automatisation, de réduction
de la pénibilité de certaines tâches,
les gains en effectif qu'elle permet, a remporté
des succès qui ont conduit les entreprises à
s'engager dans une sorte de course vers la modernité
caractérisée par une inflation technique.
Tout se passait comme si la justification des besoins
informatiques n'était plus nécessaire,
d'autant que le discours des DSI était souvent
: "il est de toute façon trop complexe de
calculer la rentabilité économique, pensez
plutôt à ce qu'il va arriver si le projet
informatique n'est pas mis en place !".
Or, il est possible d'évaluer la rentabilité
d'un investissement informatique, même si nous
constatons que le message est extrêmement difficile
à faire passer.
La
confusion n'est-elle pas entretenue par les fournisseurs
informatiques, engagés eux aussi dans une course
à l'innovation en décalage avec les besoins
?
Sans doute mais il faudra une incitation
au mouvement contraire, et cela peut passer par l'évolution
de la demande qui va pousser vers la vente de solutions
plutôt que de produits. Par "solutions",
j'entends un ensemble d'outils et de services. Prenons
l'exemple du modèle des ASP (NDLR: Application
Service Providers) : bien qu'il s'agisse d'infogérance,
c'est encore un "produit" que l'on vend. Le
BPO (NDLR: Business Process Outsourcing ou externalisation
des processus métiers), par contre, se rapproche
plus d'une "solution" dans ce domaine.
Quelle
démarche préconisez-vous pour évaluer
le retour sur investissement d'un projet informatique
?
Un premier point clé est le suivant:
le DSI ne peut évaluer seul la rentabilité,
cela ne doit même pas être de sa responsabilité.
Un tel rôle est dévolu à la maîtrise
d'ouvrage, sous forme d'une implication très en
amont. Il est important de pouvoir répondre à
la question du pourquoi de l'investissement, et il est
de la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage
d'accompagner le projet d'une gestion du changement. Il
faut de plus prendre le temps de positionner les bons
capteurs, très tôt, afin de remonter de l'information
pertinente issue de ces indicateurs dès la mise
en place du projet.
Par ailleurs, il faut accepter qu'au départ, il
y aura des écarts entre les évaluations
relatives à la création de valeur et les
résultats : l'important est alors de ne pas abandonner
le processus d'évaluation, profondément
itératif, et au contraire de la constituer en habitude.
Il y a toujours des possibilités d'ajustement tout
autant qu'une période d'apprentissage. Ce genre
de méthodologie correspond du reste et par exemple
à l'approche appelée Balanced Scorecard.
Dans ces conditions, quelle
doit être le rôle de la DSI, et plus précisément
quelle structure doit-elle adopter ?
Nous croyons beaucoup à la vision
de la DSI comme SSII interne. Le fait même que celle-ci
soit interne implique que les intérêts fondamentaux
sont communs à ceux de la maîtrise d'ouvrage.
On couple ainsi les avantages de la SSII (conventions
de service, prise de conscience des implications des projets
en termes de coût, système d'autorégulation
de la demande...) - mais sans ses inconvénients
(par exemple la volonté de rendre les clients dépendants)
- avec un partenariat dont on est sûr qu'il obéit
à des objectifs convergents.
Pouvez-vous donner des exemples
de projets pour lesquels peuvent être évaluée
une rentabilité jugée au départ impossible
à calculer ?
L'exemple de base
est la mise en place d'un datawarehouse. On entend
souvent dire "on n'y arrivera pas" quand on
pose la question de l'évaluation du ROI d'un tel
projet. Pourtant, le pourquoi de l'investissement s'identifie
à partir de besoins clairs: réduction du
temps de collecte et de validation des données,
diminution des coûts de comparaison, etc.
Nous fonctionnons en pareil cas avec des enquêtes
utilisateurs visant à évaluer le temps passé
à exécuter une tâche, en amont du
projet puis en aval de celui-ci. Ces évalutations
se font sur la durée pour être valides, et
se complètent de l'estimation des coûts matériels,
logiciels et plus généralement de l'investissement
lié au projet lui-même. La comparaison amont-aval
permet de dégager d'importants enseignements.
On
ne parle pas ici de création de valeur...
Mais un socle comme
le datawarehouse, que l'on retrouve
au coeur des systèmes d'achat, de vente, etc.,
peut-être appréhendé par la question
: "avec plus d'informations, que va-t-on pouvoir
créer". Et bien, par exemple, on va pouvoir
mieux attaquer l'intelligence économique, et se
dire : "cela devrait avoir un impact sur les ventes
par exemple". Evidemment, si l'on constate une augmentation
de parts de marché suite à un projet de
ce type, cela peut-être dû à d'autres
facteurs que le facteur informatique. L'analyse précise
de la variation des ventes, dans mon exemple, l'évaluation
d'un "impact pilote" ou, une fois encore, la
mise en place de capteurs plus qualitatifs (mais néanmoins
suffisamment fermés pour établir des traitements)
au niveau des utilisteurs permettent d'affiner les conclusions.
Vous
parliez tout à l'heure de solutions groupant produits
et services. On s'achemine vers l'émergence d'un
nouveau type "d'intégrateur" ?
Oui, nous croyons
beaucoup, je le repête, à la SSII interne
(mais il faut la taille critique) ce qui n'empêche
pas d'externaliser certaines fonctions. De plus, un gain
financier véritable passe par le réengineering
de la fonction informatique, ce qui peut difficilement
se faire en interne.
Les prestataires devront répondre à des
demandes de gestion d'une fonction plutôt qu'à
l'intégration de logiciels particuliers : ils feront
office de grands intégrateurs en "assemblant",
à partir d'une offre qui peut-être éclatée,
les différentes composante d'une solution pertinente
pour le client.
Un peu
l'analogue, dans le mode de fonctionnement, d'une agence
de voyage ?
Exactement.
|