INTERVIEW 
 
Patrice Vidon
Président sortant
CNCPI
Patrice Vidon
"En Europe, nous réalisons 30% de R&D de moins qu'aux Etats-Unis"
Le Président sortant de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle revient sur 4 années de mandat, s'exprimant notamment sur les brevets logiciels, le retard européen en R&D et les enjeux de la prochaine décennie.
21/12/2004
 
JDN Solutions. Quel bilan tirez-vous de vos quatre ans de mandat ?
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Patrice Vidon. A la tête de l'Ordre français des conseils en propriété industrielle, qui compte 607 professionnels - soit une augmentation de 10% en quatre ans -, nous avons travaillé principalement autour de trois axes.

Nous sommes tout d'abord intervenus dans certains dossiers politiques - dans l'intérêt de nos clients - pour défendre et renforcer les systèmes de brevets et de marques ainsi que la réforme et l'harmonisation du système judiciaire.

Ensuite, nous avons oeuvré à la reconnaissance du métier de conseil en propriété industrielle, à la visibilité de la profession, à l'interprofessionnalité et au rapprochement avec les avocats. Enfin, nous avons travaillé à renforcer la déontologie, la loi du 11 février 2004 ayant renforcé le secret professionnel des conseils en propriété industrielle en créant l'article L.422-11, similaire à celui relatif au secret de la profession d'avocat.

Les brevets logiciels doivent-ils être valables en Europe ?

Nous sommes favorables à la protection des inventions informatiques par le brevet, pour des raisons essentiellement économiques. Nous pensons en effet que ce serait une erreur que d'adopter en Europe des dispositions différentes de celles qui prévalent en Asie et aux Etats-Unis. Sur ce point, nous avons émis des recommandations aux responsables d'entreprise.

Bien entendu, il ne faut pas faire n'importe quoi et penser à la compétitivité de l'Europe en protégeant les secteurs faibles le temps qu'ils se renforcent. Mais il faut aussi être conscient des retards que l'Europe prend, notamment en termes de recherche et développement. Aujourd'hui, en Europe, nous réalisons 30% de R&D de moins qu'aux Etats-Unis, soit 100 milliards d'euros - ce qui est considérable. Il y a un cercle vicieux selon lequel nous ne protégeons pas suffisamment nos inventions, et gagnons donc moins de marge financière sur leur exploitation, ce qui nous prive des moyens d'investir dans la R&D et entraîne un décrochage progressif de l'Europe dans le "jeu de go" mondial de l'innovation et de la propriété intellectuelle.

Prenez à l'inverse le cas du GSM, extraordinaire exemple de réussite européano-européenne : il existe aujourd'hui dans le monde un portefeuille de plus de 600 familles de brevets qui portent sur le traitement du signal GSM, essentiellement détenus par les entreprises européennes. Dans ce domaine, nous avons su constituer des positions fortes et utiliser la propriété industrielle pour les exploiter, diffuser mondialement notre standard et constituer des forces industrielles enviables.

Le Parlement européen a introduit une demi douzaine de notions floues complètement inapplicables"
Mais dans d'autres secteurs où nous nous sommes organisés collectivement, la puissance industrielle et économique se trouve aux Etats-Unis et en Asie. Sur ce continent, les Japonais, les Coréens, les Taïwanais nous ont depuis longtemps dépassés en termes de protection des inventions, et les Chinois ont déjà compris l'intérêt de déposer massivement des brevets dans leurs domaines de spécialité. L'attitude qui consiste à dire que c'est moralement condamnable ne défend pas nos intérêts, ce n'est pas une attitude offensive, ni proactive. Pendant ce temps, les autres travaillent...

Toujours à propos des brevets logiciels, que pensez-vous des va-et-vient entre le Parlement et le Conseil des ministres européens ?
On parle souvent des amendements apportés par le Parlement européen au projet de directive européenne sur les inventions mises en oeuvre par ordinateur. Mais ces amendements étaient juridiquement inapplicables ! Le Parlement européen a introduit une demi-douzaine de notions floues, en précisant par exemple que la "contribution technique" d'un programme doit être "notable", pour qu'un programme soit brevetable (art. 4.3), ou encore qu'il doit utiliser des forces "contrôlables de la nature" (art. 2b) ! Beau progrès dans la clarification !

En outre, du fait des restrictions proposées pour le champ du protégeable (art. 5.1 ter), les activités de la plupart des grandes entreprises françaises du secteur des technologies de l'information (Alcatel, Thomson, France Télécom, etc.) deviendraient libres pour tous : ils pourraient tout de suite fermer leurs centres de recherche et de production sur le sol européen. Ce débat européen est nécessaire, car il faut que nos élus comprennent progressivement les enjeux complexes de la propriété industrielle. Mais clairement, l'ancien Parlement n'a pas bien travaillé, et n'a pas été très mature sur ce sujet.

La protection de la propriété industrielle et intellectuelle est l'instrument au service de notre communauté et de notre continent pour maîtriser le résultat de ses créations, diffuser ses standards, et par là même ses technologies, sa puissance commerciale, son mode de vie, et ainsi conserver son influence, ses emplois et son leadership.

Quels enjeux majeurs percevez-vous pour les années qui viennent ?
Les enjeux des 10 prochaines années sont non seulement les technologies de l'information et les biotechnologies, mais aussi la crise énergétique, la surpopulation, la consommation des matières premières et l'écologie. Sur tous ces domaines, on peut parier que les inventeurs seront majoritairement en Asie, et notamment en Chine car c'est dans cette partie du monde qu'il faudra d'abord traiter et résoudre ces problèmes.

Les Chinois déposent 25% des brevets enregistrés chez eux, les Français 7%"
D'ores et déjà, il faut savoir que les Chinois déposent 25% des brevets enregistrés en Chine alors que ce pourcentage n'est que de 7% en France, ils sont donc plus autonomes que nous sur ce terrain. Ils sont par ailleurs depuis 2 ans les premiers déposants mondiaux de marques.

Le raisonnement que je viens de tenir est bien entendu applicable au secteur des technologies de l'information. L'enjeu est de savoir créer des technologies, puis de les protéger et de diffuser les standards liés, et d'en tirer suffisamment de bénéfice pour pouvoir maîtriser les développements et continuer à innover. Quelques chiffres : 400 000 brevets sont déposés annuellement au Japon, 250 000 aux Etats-Unis, 55 000 en Allemagne et 13 000 seulement en France.

Le logiciel libre et son succès actuel, qu'en pensez-vous ?
Faire Linux, c'est très bien, mais construire une puissance industrielle et commerciale dynamique, c'est mieux. Même si les grands acteurs commencent à inclure ces standards et que les promoteurs du logiciel libre ont été remarquables par leur créativité intellectuelle, ils n'ont guère apporté en termes de puissance économique concrète.

On est un peu trop en avance ou en retard et pendant que l'on fait cela, des puissances se construisent ailleurs. C'est quand même Microsoft - avec Windows - et d'autres acteurs qui ont raflé la croissance ces dernières années... Est-on sûr que l'on saura vraiment profiter de la nouvelle vague ?

Quelle est votre position sur les accords de licences croisées relatifs aux brevets ?

Le critère du droit de la concurrence est un critère économique - à savoir le bénéfice pour le consommateur final. Les services du commissaire européen Mario Monti ont été très sourcilleux sur le respect des articles 81 et 82 du Traité de Rome proscrivant les ententes et les positions dominantes.

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Le Department of Justice et la Federal Trade Commission sont - aux Etats-Unis - attentifs à vérifier que les règles de la concurrence sont respectées. Mais, souvent, les accords sont le seul moyen de diminuer les risques et les paris considérables associés à la création de nouveaux services et à la mise en œuvre à vaste échelle d'innovations radicales.
 
Propos recueillis par Fabrice DEBLOCK, JDN Solutions

PARCOURS
 
 
Patrice Vidon, 45 ans, est diplômé de l'Institut Catholique d'Arts et Métiers de Lille et de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Après une expérience au sein du cabinet Rodhain, il fonde en 1988 son propre cabinet de conseil en propriété industrielle, qui compte actuellement 50 collaborateurs répartis en France et en Asie. Après avoir occupé différentes fonctions électives au sein de la CNCPI, il a été élu Président de la CNCPI en janvier 2000 puis réélu deux ans plus tard.

   
 
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