INTERVIEW 
 
Thierry Sueur
Président du comité propriété intellectuelle
Medef
Thierry Sueur
"Le brevet, c'est l'arme du faible contre le fort"
Pour le président du comité du Medef dédié à la propriété intellectuelle, le texte de la directive ne fait qu'entériner ce qui existe déjà en pratique.
09/03/2005
 
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JDN Solutions. La directive sur les brevets logiciels représente-t-elle selon vous un compromis ?
Thierry Sueur. Je ne pense pas qu'il faille parler de compromis. Il s'agit plutôt d'un texte qui permet de définir avec plus d'exactitude une pratique qui s'est instaurée depuis de nombreuses années.

L'idée d'origine est de clarifier une situation qui posait quelques problèmes dans la mesure où les décisions des tribunaux n'étaient pas homogènes. La Commission européenne a estimé qu'il était préférable de clarifier tout cela. Et à l'époque où la directive a été proposée, il n'y avait pas de débat.

La directive tend donc, selon vous, à clarifier une certaine forme de statu quo ?

Oui. Les droits d'auteurs protègent le programme d'ordinateur en tant qu'écrit mais pas l'invention technique que ce programme peut mettre en œuvre. Le statu quo consiste aussi à ce que de nombreux brevets ont été accordés sur des inventions techniques mises en œuvre par logiciel, ce dont beaucoup de gens ne se sont pas rendu compte.

Il y a aujourd'hui une sorte d'incompréhension. Il est acquis que le droit d'auteur protège le logiciel en tant qu'œuvre littéraire, personne ne songe à remettre cela en cause. Quant aux inventions techniques mises en œuvre par ordinateur, personne ne songe sérieusement à remettre en question leur protection par le brevet. Le problème se pose à la frontière entre les deux, soit parce que l'invention n'est pas technique, soit parce qu'on est dans le domaine de l'expression.

L'objectif n'est pas de changer les règles du jeu, mais simplement de mettre dans un texte la pratique générale. C'est lorsque la Commission a voulu harmoniser ces points que le débat est né, entraînant la guerre fratricide que l'on connaît.

Les industriels sont un peu surpris par le fonctionnement des organes européens"
Que pensez-vous qu'il faille faire aujourd'hui ?
Tout d'abord, je tiens à dire que les industriels sont un peu surpris par le fonctionnement des organes européens. Au-delà de la surprise, je crois - le débat ayant pris une telle ampleur et une telle vigueur - qu'il est assez évident que la proposition du Parlement européen nécessite de prendre le temps d'une pause. Il y a peu de chance que l'on arrive - dans le cadre actuel - à une bonne directive [NDLR : cet entretien a été réalisé avant l'adoption en "Point A" du projet de directive].

La position des industriels est donc de préférer un délai de réflexion à une mauvaise directive qui pourrait désavantager l'industrie européenne par rapport aux autres industries dans le monde. Les risques de handicap sont réels, une pause nous paraît donc assez sage.

Si la proposition de directive du Parlement européen - faite en septembre 2003 - avait existé il y a 20 ou 30 ans, on n'aurait peut-être pas pu protéger les développements modernes du téléphone ou de la télévision, on serait peut-être même arrivé à une régression. Plutôt que de faire des bourdes, il vaut donc mieux s'arrêter et réfléchir.

Dire que l'OEB a accordé des brevets non valables n'engage que leurs auteurs"
Les brevets actuellement déposés à l'OEB sont-ils valables, sont-ils opposables à des tiers ?
La seule personne qui puisse se prononcer sur la question est un juge… En ce qui me concerne, je ne sais pas. L'OEB travaille à partir d'une loi - la Convention de Munich -, il peut se tromper parfois, faire des bêtises, mais s'il a estimé qu'un certain nombre d'inventions correspondait aux critères de brevetabilité, il faut lui faire confiance. Dire que l'OEB a accordé des brevets non valables n'engage que les auteurs de cete affirmation. En revanche, si les tribunaux décident du contraire, il faut s'incliner.

Je crois en outre qu'il faut éviter de faire du juridisme. Les industriels sont rarement des juristes éminents, mais les gens qui disent que la Convention de Munich n'est pas valable ne sont pas mieux placés que d'autres. Ne nous battons pas sur les mots, les juristes peuvent discuter entre eux mais le problème reste de savoir quels sont les besoins de l'économie européenne.

Le système des brevets protège-t-il, selon vous, l'interopérabilité ?
Sauf erreur de ma part, il y a une directive européenne sur le sujet, elle n'est à ma connaissance pas abrogée. J'attends toujours qu'on me prouve que les brevets empêchent l'interopérabilité. Tant que l'on n'a pas de cas précis, il est difficile de se prononcer. Et que je sache, les systèmes de téléphonie sont interopérables, on aurait pu penser que non, mais les industriels se sont mis d'accord pour que ce soit ainsi…

Oui, mais en trouvant des accords entre eux, l'interopérabilité n'étant pas accessible à tous...
Moyennant finances, certes.

Ce sont de petites sociétés qui attaquent Microsoft et qui gagnent, pas l'inverse"
Comment éviter les dérives constatées aux Etats-Unis ?
Aux Etats-Unis, le système est fondé sur le droit et les litiges, la société est faite comme cela, je n'ai pas à la juger. Pour la directive qui nous concerne, je constate que la plupart des décisions de justice dans des affaires opposant des petites entreprises à de plus grandes ont abouti à la condamnation de la plus grande pour contrefaçon de brevets. Ce sont de petites sociétés qui attaquent Microsoft, pas l'inverse. Le brevet, c'est l'arme du faible contre le fort, les petits attaquent des gros, cela ne me choque pas.

Par ailleurs, un des litiges récents concerne une affaire SCO relative à des droits d'auteur - pas de brevet - et des logiciels libres.

Mais les coûts ne sont pas négligeables pour les PME...
Aux Etats-Unis, les procès se font parfois avec des avocats qui travaillent pour rien : s'ils gagnent, les gains sont partagés, s'ils perdent, rien n'est dépensé par les sociétés. En Europe, les choses fonctionnent effectivement différemment. Nous ne sommes cependant pas nécessairement favorables au système américain.

Comment garantir la qualité des brevets déposés ?
Des brevets folkloriques, il y en a toujours eu, chaque ingénieur brevet a dans son armoire quelques brevets de ce genre. L'industrie estime que les offices des brevets délivrent un peu facilement des brevets et ne sont pas assez rigoureux dans leur attribution. Nous souhaitons qu'ils soient plus rigoureux et qu'ils délivrent des brevets qui le méritent, selon les critères fixés par la Loi.

Il faut que les offices des brevets soient mieux contrôlés"
Il faut pour cela que les offices des brevets soient mieux contrôlés. Prenez l'OEB, par exemple, il est contrôlé par un conseil d'administration composé par les concurrents nationaux de l'OEB, ce qui n'est pas normal. Deuxièmement, dans tous les pays du monde, après les offices des brevets, ce sont les juges qui décident et si 90% des brevets déposés sont annulés, il faut changer. En Europe, il n'y a pas de contrôle, pas de tribunal unique, commun. Tant qu'on n'aura pas cela, pour assurer une uniformité des critères de brevetabilité, les choses ne marcheront pas.

Un point technique également : quand on parle de brevets fantaisistes, les exemples sont souvent pris aux Etats-Unis. Il faut faire attention, en Europe, de bien distinguer les demandes de brevets - les demandes publiées - des brevets délivrés. Encore une fois, il y a sûrement des exemples de brevets fantaisistes, ce sont des hommes qui les délivrent, ils peuvent faire des erreurs comme les autres, mais dans la Convention de Munich, il y a possibilité d'opposition pour rattraper ces erreurs.

Les brevets n'ont pas empêché le logiciel libre de croître"
Mais ces procédures continuent de coûter cher pour les petites entreprises...
Ce n'est pas faux, les choses sont complexes et coûteuses, d'autant plus que les Etats exigent des demandes de traduction, qui sont inutiles. Les PME sont les premières à demander à ce qu'on les arrête, cela fait des années que nous prêchons dans le désert.

Mais cela fait plaisir à certains lobbies puissants, ceux de la traduction et de la défense des langues nationales. Cela représente en outre des sommes colossales et ces gens là ont trouvé des appuis et des soutiens favorables. Le problème existe et il faudra le traiter.

En guise de conclusion, le message que je voudrais faire passer est que ce qui nuit à ce débat est que les gens s'accusent d'intentions, pensent que l'autre a des arrières pensées. Les brevets n'ont pas empêché le logiciel libre de croître, ce système s'est bien développé ces 20 dernières années.

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Le but est de mettre en musique ce qui a été la pratique antérieure, on a été un peu surpris par l'ampleur du débat. Si l'ambiance générale se calmait un peu, on pourrait discuter et faire le tri entre ce qui doit être brevetable ou pas, certains parlementaires l'ont d'ailleurs dit, il n'est pas possible de discuter du fond des choses pour le moment.
 
Propos recueillis par Fabrice DEBLOCK, JDN Solutions

PARCOURS
 
 
Thierry Sueur, Président du Comité Propriété Intellectuelle du Medef depuis 1997

Depuis 2001 Directeur des Affaires Européennes et Internationales, Air Liquide
Depuis 1999 Vice-Président du groupe de travail brevets à l'Unice (Confédération des entreprises européennes)
Depuis 1992 Directeur de la Propriété Intellectuelle, Air Liquide

Et aussi Ingénieur diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure de Chimie à Strasbourg, diplômé du Centre d'Etudes Internationales de Propriété Intellectuelle et "Past-President" du LES International.

   
 
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