Pagoo veut
devenir la première compagnie de téléphone Internet. Sylvain
Dufour et Patrice Khawam, les deux fondateurs français de
cette start-up championne de la voix sur IP basée à San
Francisco, expliquent comment Internet va bouleverser le
monde de la téléphonie.
Propos
recueillis par Stéphane Gigandet le 21 juillet 2000
JDNet
Solutions : Pouvez-vous présenter Pagoo en quelques mots
?
Sylvain Dufour et Patrice Khawam: Nous voulons créer
la nouvelle génération de compagnie de téléphone utilisant
uniquement Internet. Nous voulons également que tout
le support du service soit réalisé sur le
Web. C'est-à-dire de ne pas obliger les utilisateurs à appeler
pour l'activation, les modifications, etc. Notre but à moyen
terme, aussi bien pour les utilisateurs que les entreprises,
est d'être leur fournisseur de services téléphoniques.
Quels
sont ces services ?
Aujourd'hui
nous sommes capables d'offrir les services minimaux d'une
compagnie de téléphone traditionnelle : fournir un numéro
de téléphone n'importe où aux Etats-Unis, nous couvrons
95% du territoire américain, placer et recevoir des appels,
dans les deux sens. Nous sommes la seule compagnie qui soit
capable aujourd'hui de proposer des appels du PC au téléphone
mais aussi du téléphone au PC. Et nous offrons des services
tels que l'identification de l'appelant, la messagerie vocale,
le transfert d'appel.
Combien d'utilisateurs téléphonent
avec Pagoo ?
Notre précédent produit, Call Catcher, qui permettait de
recevoir des messages lorsqu'on est connecté à Internet
compte à peu près 1 million d'utilisateurs. Nous avons lancé
notre nouveau service il y a à peu près un mois et nous
avons plusieurs centaines de milliers d'utilisateurs. C'est-à-dire
que nous avons déjà distribué plusieurs centaines
de milliers de numéros.
Au
point de vue technique, comment fonctionne Pagoo ?
Très
schématiquement, la voix est compactée puis transportée
sur le réseau Internet global. La difficulté, c'est de pouvoir
établir la convergence entre deux modèles : de PC à téléphone
et de téléphone à PC ou comment faire cohabiter deux mondes
ou les standards ne sont pas les mêmes et où l'information
ne circule même pas sur le même réseau. Il existe des équipements
Cisco, des passerelles, qui effectuent le transcodage entre
le réseau classique et le réseau IP. Nous avons 800 passerelles
distribuées aux Etats-Unis et connectées sur le réseau téléphonique
habituel et sur le réseau IP. En fait, nous n'avons pas
implémenté nous-mêmes ce réseau de passerelles mais sommes
en partenariat avec Genuity dont nous utilisons le réseau.
La
voix sur IP connaît-t-elle beaucoup d'avancées technologiques
?
Le plus gros problème, c'est la qualité de la voix. Selon
la disponibilité du réseau Internet - paquets perdus ou
congestion - il peut se produire des délais ou des coupures.
Ce problème est en partie résolu avec Genuity qui utilise
un réseau privé qui ne fait pas partie du réseau public
Internet. Sur ce réseau, la qualité de la voix est garantie,
mais pour aller du PC jusqu'à ce réseau, la voix doit toujours
emprunter l'Internet public. Globalement il y a beaucoup
d'améliorations au niveau des algorithmes de compression
et de la disponibilité d'Internet. D'ici un an ou deux,
on s'approchera de la qualité téléphonique. Aujourd'hui
déjà, avec l'ADSL, on obtient une qualité tout à fait honorable.
A l'intérieur de Pagoo, nous utilisons notre produit et
n'avons pas de problèmes. Nous projetons d'ici six mois
d'éliminer PacBell, notre compagnie téléphonique, et d'utiliser
à la place notre produit uniquement.
Quelles
difficultés rencontrent vos utilisateurs ?
La
plus grande difficulté pour nos utilisateurs est qu'il n'est
pas naturel de parler avec son PC, avec un micro ou un casque.
Nous développons des technologies, en partenariat avec des
entreprises comme Cisco, qui permettent de réutiliser un
téléphone classique. C'est une sorte de passerelle résidentielle
que l'on branche d'un côté sur sa connexion ADSL et de l'autre
sur un téléphone classique. Ce sont des technologies qui
marchent aujourd'hui, que nous expérimentons et qui seront
disponibles avant la fin de l'année. Cela va vraiment faire
avancer les technologies de voix sur IP. Bouleverser les
habitudes est un peu difficile et prend du temps et c'est
pour cela que nous sommes en train de mettre en place des
technologies qui permettent d'utiliser des objets que l'utilisateur
novice connaît déjà.
Que
pensez-vous des systèmes qui permettent de téléphoner sur
Internet sans ordinateur, comme le téléphone Internet d'Aplio
par exemple ?
En
terme d'équipement, c'est l'avenir. Mais Aplio est un mauvais
exemple : il n'y a aucune interaction avec d'autres systèmes,
pour utiliser Aplio il faut que son correspondant ait un
Aplio, et c'est pour cela que ça n'a pas marché. Aplio a
été racheté il y a deux jours par Net2Phone, un de nos compétiteurs,
qui se rend compte de la valeur de ce type d'équipement
et qui va tenter de l'intégrer pour permettre des communications
Internet plus faciles.
Pagoo
est gratuit et ne fait pas de publicité. Sur quels revenus
repose votre business model ?
Notre
idée est d'offrir un minimum de services gratuits tels que
le numéro de téléphone et ensuite de proposer des options
payantes à l'utilisateur lorsqu'il est convaincu de l'utilité
du produit, comme les appels internationaux par exemple
ou des appels de conférence. C'est la première partie de
notre activité où Pagoo essaie d'acquérir des utilisateurs
directement. Un autre segment de notre activité est de donner
cette technologie à d'autres compagnies qui veulent offrir
des services téléphoniques sans en posséder l'expertise.
On leur propose notre solution intégrée pour qu'elles puissent
offrir ce service à leurs utilisateurs, que ca soit directement
sous leur marque ou dans une version co-brandée. Nous avons
deux marchés : le B2C pour se faire une image et prouver
la qualité du produit, et le B2B pour générer plus de revenus.
En ce qui concerne le B2B, nous avons déjà signé un contrat
avec une grosse compagnie européenne.
Dans
votre business model, pas de publicité comme sur DialPad
donc ?
Non,
nous sommes résolument contre. Nous voulons créer
un service sans publicité et générer du revenu, et il est
hors de question de proposer un service gratuit basé sur
des revenus publicitaires. Par contre, des partenaires peuvent
proposer ce type de services avec de la pub. Notre partenaire
en Europe va vraisemblablement intégrer de la publicité
dans son offre. Cette compagnie prend les risques vis-à-vis
de l'utilisateur, c'est son problème.
Faites-vous
de la recherche à Pagoo ?
Nous sommes toujours en train d'essayer
d'imaginer ce qu'il est possible de faire en voix sur
IP. Notre ambition est très forte : nous voulons remplacer
le monde des communications actuel. Il est clair que nous
ne pouvons pas le faire tout seul et notre stratégie est
d'établir des partenariats avec des entreprises comme
Genuity, Cisco ou NetCentrex. Une grande partie de notre
recherche est de bien comprendre les technologies disponibles
sur le marché pour pouvoir mieux les intégrer pour notre
utilisateur final. Ainsi, nous avons 40 ingénieurs pour
95 employés. .
Comment
vous positionnez-vous face à vos concurrents DialPad,
Net2Phone, HotTelephone etc.?
Pour l'instant, nous avons vraiment
une avance technologique : nous sommes la première société
à offrir un service complet, pas seulement de PC à téléphone
mais aussi de téléphone à PC. Par rapport à la compétition,
nous voulons vraiment construire une vraie société de
communication basée uniquement sur Internet, et non pas
des gadgets basés sur des services gratuits avec des revenus
publicitaires derrière. Nous voulons créer une vraie valeur,
avec de vrais revenus et de vrais clients. Il y a une
grosse différence du point de vue technologique, mais
la différence est encore plus énorme en terme de business
model. Pour tous ces gens sur Internet qui offrent des
services gratuits, le produit lui même est un outil pour
attirer des masses, et après se pose le problème de générer
des revenus. DialPad en ce moment est en train d'ouvrir
des sections de e-commerce sur son site Web pour vendre
un tas de choses à leurs millions d'utilisateurs. Nous,
nous pensons qu'il y a de la valeur en offrant des services
téléphoniques, en travaillant pour s'approcher de plus
en plus de la qualité des téléphones actuels. Alors que
ce qui intéresse DialPad, ce n'est pas la qualité mais
le trafic.
A
quand un numéro Pagoo en France et des appels internationaux
?
Nous sommes en train d'étendre notre
service en Europe. Nous ne pouvons pas donner de dates
précises, mais cela fait partie de nos priorités. Il est
possible que d'ici quelques mois Pagoo soit disponible
en France, soit directement sous le nom Pagoo avec un
.fr ; soit plus simplement avec un partenaire en France
qui a décidé d'adopter notre technologie pour la distribuer
en France.
CV
des interviewés.
Sylvain
Dufour, 31 ans, est ingénieur diplômé de l'ENSEEIHT et
titulaire d'une maîtrise d'informatique et de mathématiques
appliquées de l'Université de Paris. Patrice Khawan, 31
ans, est ingénieur diplômé de l'EPITA. Ils ont fondé Pagoo
à Santa Barbara en 1997. Sylvain Dufour et Patrice Khawam
Pagoo Fondateurs, Directeur technique et Directeur de
l'Ingénierie.
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