Les technologies Open Source, issues du travail collaboratif
de milliers de développeurs, sont à la base
d'Internet. Leur représentant le plus célèbre
est aujourd'hui Linux, qui fédère d'années
en années de plus en plus d'adeptes. On peut considérer
Red Hat comme l'une des entreprises pionnières dans
ce domaine, et l'une des plus importantes, comme en témoigne
les récents partenariats qu'elle a passés
avec Dell ou IBM. Le futur de Linux se situe du côté
des serveurs mais aussi de l'informatique mobile. Bob Young,
cofondateur de Red Hat, explique la stratégie de
son entreprise.
Propos
recueillis le 18 juillet 2000 par Ludovic
Blin
JDNet
Solutions : Quelle est la situation de Linux aujourd'hui,
et existe-t-il une différence entre l'Europe et les
Etats-Unis?
Bob Young: Les Etats-Unis représentent un
marché unique où les consommateurs ont un
comportement à peu près identique. En Europe,
il existe quinze marchés différents. Le marché
allemand est le plus gros marché mondial pour Linux.
Ils ont compris l'intérêt de la technologie
Open Source plus vite que les autres. Les Etats-Unis sont
derrière, probablement au même niveau que la
France, et l'Italie un peu plus loin. La croissance demeure
exponentielle. En 1994, il y avait quelques milliers d'utilisateurs
de Linux, pratiquement tous des étudiants. Depuis,
le nombre d'utilisateurs double tous les ans. Le point clé,
c'est que personne n'achète en fait un système
d'exploitation mais une technologie d'infrastructure ou
des applications, et choisit son système par rapport
à cela. Aujourd'hui, la "killer" application
qui conduit notre succès, c'est Internet en lui-même
avec toutes les technologies telles Apache, FTP, Bind (serveur
DNS), etc. De plus en plus d'applications sont aussi portées
sous les technologies Open Source. Maintenant, Oracle, IBM,
SAP portent leurs applications sous Linux.
Comment
allez-vous développer Red Hat en France et en Europe
?
L'industrie
des logiciels doit évoluer. Elle a 30 ans mais est
toujours immature. Dans la plupart des industries, le vendeur
est sous le contrôle de ses clients. Dans l'industrie
des logiciels, c'est le contraire. En effet, quand le client
ne dispose que du code binaire, il ne peut pas voir les
erreurs, et il ne peut pas améliorer le logiciel,
car de plus, la licence lui interdit. Donc l'éditeur
du logiciel peut faire ce qu'il veut, et par exemple sortir
un produit qui n'est pas fini. Avec la technologie Open
Source, nous faisons entrer l'industrie du logiciel dans
le 21ème siècle. Nous traitons nos clients
comme des partenaires. Nous ne les traitons pas comme des
victimes. Aussi, nous avons besoin que l'écosystème
qui nous entoure grossisse autour de ces technologies. Nous
avons besoin de Sun, de Dell, d'IBM, de Compaq, d'Oracle...
En effet, quelle que soit notre valeur, nous ne pouvons
tout apporter aux clients.
Quels sont vos partenaires en
Europe ?
Comme au niveau mondial, nos partenaires sont les leaders
dans leurs domaines. C'est Oracle, SAP, Dell, Compaq, IBM,
Siemens. Mais le domaine de l'embarqué, dont nous
apercevons pour l'instant le sommet de l'iceberg, est le
domaine ou cela va le plus vite, mais nous ne le voyons
pas encore, car des entreprises comme Nokia ou Sony, ont
un cycle de production de 18 à 20 mois. Vous verrez
dans les prochaines semaines des annonces intéressantes.
Quelle
est votre offre pour les entreprises et le e-business ?
Notre
stratégie est de travailler au travers de nos partenaires.
Par exemple, nous fournissons des services à Compaq,
et Compaq fournit des services à Peugeot. Selon les
applications, nous pouvons aussi fournir des services aux
utilisateurs finaux. Nous misons sur la "coopétition",
une combinaison entre compétition et collaboration.
Ainsi, on peut voir des entreprises se mobiliser ensemble
sur un projet, et les mêmes se concurrencer sur un
autre. Les clients veulent des fournisseurs qui essayent
de faire d'eux des clients qui réussissent. Nous
leur donnons le contrôle de la technologie. Au niveau
du e-business, si vous regardez les études de Netcraft,
vous pouvez voir que Apache est déjà le numero
1 des serveurs web. Toutes les applications qui sont au
coeur de l'internet sont des applications Open Source. Internet
est construit sur un modèle collaboratif, et un système
collaboratif marche si tous les membres possèdent
le contrôle de leurs technologies.
Que
pensez-vous de l'utilisation de Linux par les administrations
?
Il
est facile de réaliser que Linux est idéal
pour les administrations: coût réduit, coûts
de maintenance réduit, indépendance du vendeur,
fiabilité. Mais, les administrations du monde entier
font toujours les choix technologiques les plus conservateurs.
Est-ce
que vous visez le marché des mobiles ?
Bien
sûr. Les mobiles sont une sous catégorie de
ce que nous appelons les systèmes embarqués
ou les "internet appliances". Il y 3 marchés
pour les systèmes d'exploitation: les serveurs ou
Linux est passé de 6% à 24% en 3 ans selon
IDG, les ordinateurs de bureaux dominés par Microsoft.
Nous nous concentrons sur les serveurs et les systèmes
embarqués, car ce sont les segments où la
croissance est la plus forte. Quand les gens me demandent
à quel moment il auront Linux chez eux, je leur réponds
qu'il l'ont peut-être déjà sans le savoir.
Bientôt, on pourra trouver Linux dans les chaînes
hi-fi ou les téléphones mobiles, car il est
fiable, peu cher, et facilement upgradable.
Quel
est l'avenir de Linux ?
Je
finis toujours en citant Linus Torvalds qui répond
à cette question, en reprenant les paroles d'un dessin
animé américain qui passe le samedi matin
et qui met en scène deux souris savantes qui veulent
dominer le monde.
A la fin de chaque épisode l'une demande à
l'autre: Que faisons nous la semaine prochaine ? Et l'autre
lui répond: "World domination...and fast".
Robert F. Young est cofondateur
de Red Hat. Il est diplômé de l'université
de Toronto, a passé 20 ans dans le domaine de l'informatique
Financière, et a dirigé deux sociétés
de leasing d'ordinateur, avant de fonder Red Hat.
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