L'innovation logicielle remise en cause par la Commission européenne ?
Par le JDNet Solutions (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/solutions/0202/020222_eurolinux.shtml
Jeudi 21 février 2002

L'utilisation du standard MPEG-4 en Europe sera-t-elle soumise au droit qui régit outre-Atlantique les brevets logiciels ? Dans un communiqué qu'elle a envoyé mercredi, l'alliance EuroLinux reproduit la réponse affirmative de Larry Horn, vice-président de la MPEG-LA, et profite de cette occasion pour dénoncer avec virulence les risques de marchandisation des logiciels informatiques. Ceux-ci pourraient en effet devenir brevetables en Europe dans quelques mois, si la Commission européenne en charge du dossier décide de faire passer une directive largement inspirée des modèles américain et japonais.

MPEG-4 taxé 0,02 dollars par heure
Selon EuroLinux, la stratégie de MPEG LA, un consortium qui réunit une quinzaine de sociétés informatiques privées (Canon, France Télécom, Hitachi, JVC, Philipps, Sony, Toshiba, etc.), consiste en effet à s'arroger des droits commerciaux sur l'ensemble des utilisations qui pourraient être faites du standard MPEG-4.
A titre d'exemple, le regroupement ferait d'ores et déjà payer aux Etats-Unis 0,02 dollars de royalties par heure de diffusion en MPEG-4, selon EuroLinux. Une affirmation qui rappelle étrangement la position adoptée officiellement par Apple il y a une semaine sur le sujet (voir notre article).

Une brèche dans la réglementation européenne
Si le cas MPEG-4 est important pour l'industrie du streaming, il pourrait concerner cependant beaucoup plus largement toute l'industrie de l'édition logicielle et préfigurer un dérèglement législatif au plan européen autrement plus conséquent, selon EuroLinux. " Le problème des brevets logiciels tels qu'ils s'appliquent aux Etats-Unis notamment, c'est qu'ils renforcent la puissance de ceux qui détiennent déjà beaucoup de brevets ", s'insurge Jean-Paul Smets, vice-président de l'AFUL (Association Francophone des Utilisateurs de Linux) au sein d'EuroLinux. Pour comprendre de quoi il s'agit, un petit retour en arrière s'impose.

Un flou juridique savamment entretenu
"Selon la convention de Munich ratifiée par la plupart des pays européens dans les années 70, les programmes logiciels ne sont pas brevetables. Pourtant, au cours des années 1990, l'Office Européen des Brevets (OEB) en charge de faire appliquer cette convention, a délivré plus de 30 000 brevets logiciels grâce à la notion volontairement ambiguë de programme en tant que tel (programm as such)", explique Jean-Paul Smets. Or, aujourd'hui, le projet de Directive de la Commission européenne propose d'ajouter une nouvelle notion, tout aussi peu claire pour le moment, pour légitimer a posteriori la démarche de l'OEB : celle de "technical contribution".
Selon le communiqué officiel de l'Unité de la propriété industrielle de la Commission européenne, seules les contributions techniques pourront faire l'objet d'un brevet de la part des demandeurs. Des contributions que la CE définit en ces termes : "Une contribution à l'état de la technique dans un domaine technique, qui n'est pas évidente pour une personne du métier" (sic), tout en reconnaissant qu'il "n'est pas possible, dans un texte juridique comme une directive, d'énoncer par le menu ce que l'on entend par 'technique' parce que la nature même du système des brevets est de protéger ce qui est nouveau et donc inconnu précédemment".

Une impasse pour les éditeurs indépendants...
Et c'est ce flou sémantique qu'EuroLinux déplore, qui voit dans le projet de Directive la porte ouverte à tous les abus. "Pour prendre un exemple concret, MPEG LA a déposé plus de 350 brevets qui couvrent aujourd'hui tous les procédés de codecs (codage-décodage) basiques. Il est donc désormais presque impossible de créer un nouveau logiciel sans tomber sous le coup d'un brevet qui va protéger l'exclusivité d'un algorithme pourtant commun", martèle le représentant d'EuroLinux, qui craint de voir les innovations technologiques issues de petits éditeurs ainsi réduites au silence.

Récusée par la Commission européenne
Pourtant, la Commission européenne réfute l'accusation d'utilisation de son initiative pour étouffer "l'innovation indépendante légitime", et considère que cela ne pourrait se produire que "si le champ d'application de la protection accordée par les brevets était étendu aux logiciels en tant que tels et, par exemple, bloquait l'utilisation d'une idée algorithmique dans d'autres domaines que celui dans lequel un brevet est accordé".

Qui croire dans cette affaire ? La Communauté européenne qui met en avant la volonté d'harmoniser au plan européen des pratiques nationales trop souvent disparates ou EuroLinux et ses représentants, qui voient dans le projet en cours une tentative à peine déguisée des grands fournisseurs informatiques de se partager une fois pour toute le marché ? Le manque de clarté des textes de la Communauté ne contribue pas à éclaircir le débat.

[Marc Lemesle, JDNet]


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