L'utilisation du standard
MPEG-4 en Europe sera-t-elle soumise au droit qui régit outre-Atlantique
les brevets logiciels ? Dans un communiqué qu'elle a envoyé mercredi,
l'alliance EuroLinux
reproduit la réponse affirmative de Larry Horn, vice-président de la MPEG-LA,
et profite de cette occasion pour dénoncer avec virulence les risques
de marchandisation des logiciels informatiques. Ceux-ci pourraient en
effet devenir brevetables en Europe dans quelques mois, si la Commission
européenne en charge du dossier décide de faire passer une directive largement
inspirée des modèles américain et japonais.
MPEG-4 taxé
0,02 dollars par heure
Selon EuroLinux, la
stratégie de MPEG LA, un consortium qui réunit une quinzaine de sociétés
informatiques privées (Canon, France Télécom, Hitachi, JVC, Philipps,
Sony, Toshiba, etc.), consiste en effet à s'arroger des droits commerciaux
sur l'ensemble des utilisations qui pourraient être faites du standard
MPEG-4.
A
titre d'exemple, le regroupement ferait d'ores et déjà payer aux Etats-Unis
0,02 dollars de royalties par heure de diffusion en MPEG-4, selon EuroLinux.
Une affirmation qui rappelle étrangement la position adoptée officiellement
par Apple il y a une semaine sur le sujet (voir
notre article).
Une brèche
dans la réglementation européenne
Si
le cas MPEG-4 est important pour l'industrie du streaming, il pourrait
concerner cependant beaucoup plus largement toute l'industrie de l'édition
logicielle et préfigurer un dérèglement législatif au plan européen autrement
plus conséquent, selon EuroLinux. " Le problème des brevets logiciels
tels qu'ils s'appliquent aux Etats-Unis notamment, c'est qu'ils renforcent
la puissance de ceux qui détiennent déjà beaucoup de brevets ", s'insurge
Jean-Paul Smets, vice-président de l'AFUL
(Association Francophone des Utilisateurs de Linux) au sein d'EuroLinux.
Pour comprendre de quoi il s'agit, un petit retour en arrière s'impose.
Un flou juridique
savamment entretenu
"Selon
la convention de Munich ratifiée par la plupart des pays européens dans
les années 70, les programmes logiciels ne sont pas brevetables. Pourtant,
au cours des années 1990, l'Office Européen des Brevets (OEB) en charge
de faire appliquer cette convention, a délivré plus de 30 000 brevets
logiciels grâce à la notion volontairement ambiguë de programme en tant
que tel (programm as such)", explique Jean-Paul Smets. Or, aujourd'hui,
le projet de Directive de la Commission européenne propose d'ajouter une
nouvelle notion, tout aussi peu claire pour le moment, pour légitimer
a posteriori la démarche de l'OEB : celle de "technical contribution".
Selon le communiqué
officiel de l'Unité de la propriété industrielle de la Commission
européenne, seules les contributions techniques pourront faire l'objet
d'un brevet de la part des demandeurs. Des contributions que la CE définit
en ces termes : "Une contribution à l'état de la technique dans un domaine
technique, qui n'est pas évidente pour une personne du métier" (sic),
tout en reconnaissant qu'il "n'est pas possible, dans un texte juridique
comme une directive, d'énoncer par le menu ce que l'on entend par 'technique'
parce que la nature même du système des brevets est de protéger ce qui
est nouveau et donc inconnu précédemment".
Une impasse pour
les éditeurs indépendants...
Et c'est ce
flou sémantique qu'EuroLinux déplore, qui voit dans le projet de Directive
la porte ouverte à tous les abus. "Pour prendre un exemple concret, MPEG
LA a déposé plus de 350 brevets qui couvrent aujourd'hui tous les procédés
de codecs (codage-décodage) basiques. Il est donc désormais presque impossible
de créer un nouveau logiciel sans tomber sous le coup d'un brevet qui
va protéger l'exclusivité d'un algorithme pourtant commun", martèle le
représentant d'EuroLinux, qui craint de voir les innovations technologiques
issues de petits éditeurs ainsi réduites au silence.
Récusée
par la Commission européenne
Pourtant, la
Commission européenne réfute l'accusation d'utilisation de son initiative
pour étouffer "l'innovation indépendante légitime", et considère que cela
ne pourrait se produire que "si le champ d'application de la protection
accordée par les brevets était étendu aux logiciels en tant que tels et,
par exemple, bloquait l'utilisation d'une idée algorithmique dans d'autres
domaines que celui dans lequel un brevet est accordé".
Qui croire dans cette affaire ? La Communauté européenne
qui met en avant la volonté d'harmoniser au plan européen
des pratiques nationales trop souvent disparates ou EuroLinux et ses représentants,
qui voient dans le projet en cours une tentative à peine déguisée
des grands fournisseurs informatiques de se partager une fois pour toute
le marché ? Le manque de clarté des textes de la Communauté
ne contribue pas à éclaircir le débat.
[Marc Lemesle, JDNet] |