INTERVIEW 
 
Directeur de la publication
Transformeurs - SmartMedia
Eric Montagne
La sécurité peut nuire à la qualité du débit dans un réseau sans fil
Spécialisé dans le secteur des médias interactifs, SmartMedia vient de publier une étude sur le Wi-Fi, dont l'auteur est Diane Revillard, gérante de la société de conseil Di&mark et par ailleurs secrétaire générale de l'AFIM. Eric Montagne nous dresse ici les principales lignes de cette étude et relate l'expérience de wardriving à laquelle il a récemment participé, dans les rues de Paris. Les résultats sont édifiants.

07 novembre 2176
 
          
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JDNet Solutions. Quelle concurrence Wi-Fi rencontre-t-il de la part de Bluetooth ou de l'Ultra Wide Band (UWB) ?
Eric Montagne. Le Wi-Fi se trouve être une technologie à caractère hégémonique pour les applications sans fil car la technologie s'appuie sur un standard qui est supporté par de nombreux acteurs, au contraire de Bluetooth ou de l'UWB. Cela lui donne un poids de marché et lui permet un ratissage très large.

En ce sens, Wi-Fi va légitimer un certain nombre de marchés, ce qui va par la suite aider d'autres technologies à les pénétrer. Par ailleurs, Bluetooth, qui cible des applications domestiques, évolue en tant que norme (802.15.3 a été entérinée en août 2003) ; elle offre une portée supérieure - 100 mètres contre 15 mètres jusqu'à présent -, une meilleure qualité de service et une sécurité accrue. En outre, Bluetooth requiert une consommation énergétique inférieure à celle du Wi-Fi. Des exemples concrets montrent que Bluetooth pourra aisément remplacer Wi-Fi, même s'il n'y a pas de standard commun d'interopérabilité pour le moment, ce qui devrait s'améliorer en 2004.

A titre d'illustration, des motards équipés de la technologie Bluetooth peuvent se parler de casque à casque, avec un niveau de performance et de fiabilité très élevé, ce qui vient concurrencer le Wi-Fi qui, par définition, a besoin d'une borne d'accès pour fonctionner. Et on peut avoir le même raisonnement avec l'UWB qui, en termes de puissance et d'adaptation aux conditions du terrain, s'impose dans certaines circonstances face à Wi-Fi.

Cela dit, on range souvent Bluetooth et 802.11 (Wi-Fi) dans le même panier parce que les deux technologies servent à faire communiquer entre eux deux appareils par ondes radio. En réalité, elles ont quelques caractéristiques bien distinctes. En particulier, Bluetooth est totalement portable, ce qui signifie qu'il garantit la connexion quel que soit l'endroit où se trouve l'utilisateur. En effet, Bluetooth ne requiert pas un accès à un réseau externe, contrairement au Wi-Fi qui, hormis en mode adhoc (de point à point), nécessite la présence d'une station de base qui doit être installée dans le lieu où le Wi-Fi va être utilisé.

En résumé, chaque technologie va trouver son marché et sa complémentarité. Une segmentation par qualité de service et par usage est en train de s'opérer.

L'étude parle des vrais débits - parfois très bas - des réseaux sans fils, en regard des solutions filaires. Qu'en est-il exactement ?
Nous avons fait remonter des informations de terrain, provenant de sociétés ayant installé des réseaux sans fil. Quand certains réseaux sont conçus avec des systèmes de sécurité complets - à savoir un VPN, un système d'authentification et de contrôle d'accès -, la bande passante peut s'en trouver fortement réduite. Qui a besoin de ce genre de configuration ? Les grosses entreprises, qui règlent l'allocation de la bande passante en fonction des personnes authentifiées. Mais faut-il découper la bande passante en tronçons - donc garantir théoriquement un débit donné - ou l'allouer au tout venant ?

Une étude du CNRS de Grenoble a mis en évidence l'anomalie du plus petit débit, une anomalie qui provient d'un dysfonctionnement d'un protocole de la norme Ethernet. On sait qu'un utilisateur connecté en Wi-Fi dispose en théorie d'un débit maximal de 11 Mbit/s qui passe à 6 puis à 2 puis à 1 Mbit/s à mesure qu'il s'éloigne de la borne. En clair, son signal se dégrade et son débit diminue. Or, il suffit que parmi plusieurs utilisateurs connectés en même temps à un réseau Wi-Fi, l'un d'entre eux dispose d'un débit dégradé à 1 Mbit/s et transmette des données volumineuses, alors il va dégrader la bande passante de tous les autres utilisateurs en leur imposant leur propre contrainte de débit, même si ces derniers se trouvent à côté de la borne et pourraient bénéficier de débits plus élevés. C'est la loi des minimums. On imagine donc sans mal les conséquences que cela peut avoir sur des applications de téléchargement audio et vidéo ou sur des applications en entreprises qui consomment de la bande passante.

Une expérience de téléchargement de MP3 a été menée par Apple, à Talence, dans un McDonald's. Quand il y a deux utilisateurs qui téléchargent en même temps, le débit est dégradé à un point que plus personne ne dispose d'une bande passante suffisante.


Que pensez-vous de la position de l'ART qui, pour le moment, observe plus qu'elle ne réglemente ?
Je suis assez stupéfait par la situation actuelle ! Cela fait un siècle que l'on est dans une société où les télécommunications sont extrêmement régulées, avec des licences, des monopoles et des barrières à l'entrée énormes, et le Wi-Fi est la première technologie complètement libre de toutes régulations puisque n'importe qui peut devenir opérateur en quelque sorte !

Quand la bande 2,4 Ghz a été libérée, l'ART a adopté une position très ouverte pour stimuler les expérimentations en matière de Wi-Fi, levant plus de freins qu'attendu, allant même jusqu'à faire en sorte qu'il n'y ait plus aucune contrainte, à part des limitations sur la puissance d'émission et une simple déclaration qui, de l'avis de ceux qui observent ce dossier, sautera en 2004.

On se retrouve donc dans un système totalement dérégulé sachant que, dans une société de l'information comme la nôtre, l'actif le plus cher et le plus protégé est la bande de fréquence. Est-ce que cela est pérenne ? Est-ce que deux systèmes, l'un extrêmement encadré (la téléphonie mobile 2G et 3G), l'autre complètement dérégulé (le Wi-Fi) peuvent coexister longtemps ?

Autre question : si le laisser-faire se poursuit, ne va-t-on pas vers de réels problèmes de qualité de service, avec un développement anarchique des accès Wi-Fi et un brouillage réciproque généralisé ? Déjà, dans certains lieux, on n'arrive plus à avoir une bande passante correcte, ce qui rend le Wi-Fi inutilisable. Le Wi-Fi pourrait risquer de s'autodétruire, victime de son succès d'une certaine façon...

L'ART, après avoir observé les expérimentations qui ont été menées après les phases pilotes, prendra position et jouera son rôle de gendarme, vers la fin 2004. Est-ce qu'elle éditera un cahier des charges technique, juridique ? Quels seront ses moyens ? De toutes les façons, elle devra remettre de l'ordre puisque sa mission centrale est celle d'un régulateur.

Vous avez mené, fin juillet, une expérience de "wardriving" dans les rues de Paris, à la recherche des réseaux sans fil disponibles. Racontez-nous.
J'ai mené cette expérience avec Christian Scherer, chargé de mission au Ministère de la Recherche et François-Joseph Grimault, étudiant en troisième année à l'Epita. Il s'agissait de faire une photographie, à un moment donné, de l'existant, et non de s'introduire dans les réseaux proprement dits.

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Nous avons emprunté les Champs-Elysées, avons pris la rue Bonaparte, dans le quartier Saint Germain, avons parcouru les quais dans le 8e arrondissement... Il y a beaucoup d'hôtels, de restaurants, de bars, qui proposent des accès Wi-Fi, mais aussi des particuliers, des ambassades et des entreprises en libre accès...

Le constat est édifiant : les deux tiers des réseaux sans fils que nous avons trouvés n'étaient pas sécurisés et ce, même si l'on a affaire à des équipements professionnels installés par de grandes entreprises. Cela signifie que les utilisateurs ne daignent même pas activer la fonction de sécurité la plus basique quand ils installent le logiciel, et qu'il est possible d'accéder impunément à certains intranets, de lire les mails. Pour quelqu'un qui cherche à nuire, accéder par exemple aux mots de passe ou aux numéros de carte de crédit, rien de plus facile... Cela montre que la sécurité autour du Wi-Fi n'est pas seulement affaire de technologie, mais de changement de mentalité.

L'auteur de l'étude

Diane Revillard est une spécialiste reconnue et une pionnière en France des marchés du Wi-Fi. Elle est la fondatrice et gérante de la société Di&mark, spécialisée dans le conseil en marketing stratégique dans le secteur des télécoms et de l'Internet. Elle est également secrétaire générale de l'AFIM (Association Française de l'Internet Mobile). Elle intervient fréquemment sur des séminaires sur Internet et sur les systèmes de paiement. Elle a notamment été Responsable européen des projets contactless au sein de la société Paragon.


 
Propos recueillis par Fabrice Deblock

PARCOURS
 
 
De formation ingénieur-MBA, Eric Montagne est fondateur et directeur de SmartMedia, publication professionnelle de presse écrite dédiée aux stratégies et à l'économie des médias Internet (www.smartmedia.fr). Outre la publication éponyme, SmartMedia publie des études telles que celle qui a fait l'objet de cette interview ("Enjeux et Stratégie du Wi-Fi").

Consultant en stratégie et conférencier dans les domaines de l'Internet et de la mobilité, Eric Montagne a 20 ans d'expérience dans la presse informatique et Internet où il a exercé diverses fonctions de journaliste à directeur de publication. Il a notamment lancé Soft & Micro, dirigé Excelsior Informatique (gamme Science & Vie Micro), créé Omni PC, le premier magazine consumériste de la micro, et lancé plusieurs opérations pionnières dans le multimédia, Internet et l'édition sur CD-Rom (notamment la première publicité interactive en France).


   
 

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